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cessions, soit, de temps en temps, le désaveu des forces aveugles qui se mettaient à son service. C’est ainsi que l’électeur le chargea personnellement de négocier avec Luther le maintien de la messe canonique à Wittemberg. La réforme avait besoin d’un écrivain et d’un négociateur : Mélancthon avait toutes les qualités de l’un et de l’autre rôle ; il n’y pouvait pas échapper. À son insu, et quoique résistant toujours, il finit par s’engager, mais en déclarant qu’il prenait pour bannière la modération. Il crut, par une erreur commune à tous les hommes supérieurs qui prennent parti, que cette bannière l’abriterait : il se trompa. C’est la bannière qui attire le plus de coups, et c’est la seule qui ne protége contre personne.

Avant d’entrer sans retour dans cette carrière où l’attendaient, selon la belle expression de Bossuet, « les plus violentes agitations que puisse jamais sentir un homme vivant, » il voulut aller revoir sa ville natale, comme pour y prendre de nouvelles forces pour les épreuves qui l’attendaient. Ce fut dans le mois de mai de l’année 1524. Il arriva le 6 mai à Bretten, où il trouva sa mère remariée, par jalousie, dit-on, de ce que lui-même avait pris femme. Après quelque séjour qui ne fut pas tout donné au repos, puisqu’il écrivit pour le cardinal Campége une Somme de la nouvelle théologie, il se remit en route, dans le mois de juin, pour Wittemberg.

Chemin faisant, et comme il n’était plus qu’à quelque distance de Francfort, il rencontra le fameux landgrave de Hesse, fort jeune alors, qui se rendait avec une suite à Heidelberg, à la fête du jeu de l’arc. Le landgrave avait su le voyage de Mélancthon. L’allure fort peu équestre du voyageur et de ses compagnons, lesquels, à ce que raconte Camérarius, abrégeaient le chemin en faisant des épigrammes latines, lui fit soupçonner que ce devait être Mélancthon. Il s’approche de lui et lui demande s’il n’est pas Mélancthon. « Je m’appelle de ce nom, dit celui-ci ; et, par honneur, il se dispose à descendre de cheval. — Venez, dit l’électeur, m’accompagner quelque peu de chemin : j’ai à vous entretenir de certaines choses. Du reste, ayez l’esprit tranquille, et soyez sans crainte. — Que craindrais-je ? reprit Mélancthon ; je ne suis pas de ces hommes de qui il importe beaucoup qu’il leur arrive quoi que ce soit. — Mais si je vous emmenais et vous livrais à Campége, dit le prince en riant ; je sais que je ne lui déplairais pas. » Puis il lui fit quelques questions sur les points principaux de la nouvelle doctrine, avec la légèreté d’un jeune prince qui avait de bien autres soucis, et qui n’aurait pu supporter un exposé sérieux. Mélancthon répondit sommairement et en peu de mots,