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DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

premier anneau ; elles n’ont dès-lors aucun droit politique, aucune part à la souveraineté, aucun titre à la représentation.

Dans ces sociétés si fortement ancrées au sol, l’homme n’a de valeur qu’autant qu’il en est l’héréditaire représentant. Hors de là, son individualité s’abîme au sein de corporations puissantes, comme la pierre inconnue dans les fondemens d’un vaste édifice. L’art, la pensée, l’industrie, toutes les manifestations de la pensée, se modèlent d’après un type sacré ; et le corps de la chrétienté est édifié lui-même, selon les principes qui président aux superbes et innombrables constructions épanouies à sa surface.

Mais la suite des âges a déjà ébranlé cette œuvre colossale. La terre ilote résiste à la terre souveraine. Des capitaux se créent, des intérêts se forment, des existences s’élèvent, qui, ne trouvant pas leur place dans cette organisation, s’efforcent à tout prix de la prendre. Une conquête nouvelle s’organise donc au sein de la première, et pour ainsi dire contre elle ; le donjon de la commune s’élève en face du donjon seigneurial ; partout l’on achète la liberté, ici au prix de l’or, là au prix du sang, et un tiers-ordre est créé, qui, s’appuyant sur la royauté, dont il sert les intérêts contre de communs adversaires, se fait ouvrir par elle la porte des états de la nation. Pour celui-ci, comme pour les ordres privilégiés, le droit n’est sorti que du fait, et dans l’organisation politique qui résulte de cette double conquête, ils sont plutôt coexistans qu’associés.

Cependant l’intelligence, plus libre dans ses allures, s’attache à systématiser les faits fournis par le cours des siècles, et bientôt elle revendique comme un droit naturel ce qui, dans l’origine, offrit un tout autre caractère. À mesure que la société du moyen-âge se montre plus impuissante à contenir ces hardiesses de l’esprit novateur, ces élans de la conception individuelle, la foi publique s’ébranle, et dans les bases de l’ordre politique, et dans son mécanisme, et dans son génie. L’étude de l’antiquité classique vient hâter cette décomposition de toutes parts imminente. Pendant que les disciples du droit romain substituent l’autorité des textes et l’arme du raisonnement à la puissance de ces coutumes qui jusqu’alors avaient été la seule source comme la seule règle des transactions civiles, Machiavel commente l’histoire des républiques anciennes dans un sens tout expérimental. Il en discute les annales comme des faits contemporains, et son esprit, en revêtant l’histoire de l’antiquité d’un caractère exclusivement politique, devient, pour une société qui doute d’elle-même, un dissolvant redoutable. Après ses héros et ses légis-