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MÉLANCTHON.

lui ayant donné quelques avertissemens, du droit qu’il tenait de sa grande renommée, Zwingle lui répondit en ces termes : « Les choses que tu sais nous sont inutiles, les choses que nous savons ne te conviennent pas[1]. » Comment Érasme pouvait-il être tenté de se joindre à un parti « qui n’a, disait-il, que ceci d’évangélique, que beaucoup y manquent du nécessaire ? » Le plus beau rôle et le seul qu’il pût prendre, c’était, après lui avoir fourni ses meilleures armes, de combattre ses excès et de lui marquer ses limites.

Mélancthon était venu, à peine âgé de vingt ans, dans le foyer même de la réforme allemande. Il s’était vu le collègue et l’égal de Luther, et n’avait pas été libre de n’être point de ses amis. Les jeunes gens se mettent toujours du côté du plus fort, mais seulement quand ce qui est le plus fort est une idée. Mélancthon avait suivi tous ceux de son âge, sauf quelques incertitudes secrètes, et un certain étonnement intérieur qui suspendait quelquefois le mouvement des espérances, et qui était l’effet de grandes lumières dans l’âge de l’enthousiasme.

Ajoutez que la réforme avait besoin de lui, que sans lui Luther eût plutôt secoué les esprits qu’il n’y eût pénétré et pris racine, et se fût plus élevé que propagé. La réforme, telle qu’elle se montrait dans les écrits de Luther, passionnée, puissante, mais excessive, demandait un écrivain souple, habile, conciliant, d’une forme limpide et élémentaire, qui la fît couler et s’insinuer en quelque manière là où Luther, cet olympien, comme l’appela Mélancthon dans les jours de doute, la fulminait. Au reste, il paraît assez par cette véhémente prière à l’électeur, où Luther lui demande d’intimer à Mélancthon l’ordre d’enseigner la théologie, combien il sentait tout le besoin qu’il avait du génie de Mélancthon ; car n’en parle-t-il pas comme d’un de ses membres. « Il doit le faire, il faut qu’il le fasse ? » Luther voulait garder impunément le mystère et les inégalités d’un oracle, les pensées sans application, les ravissemens de Pathmos ; il lui fallait Mélancthon pour l’interprétation modeste, pour les adoucissemens, et, si je puis parler ainsi, pour la réduction à l’échelle populaire de ses formes héroïques. Non-seulement Mélancthon était nécessaire à Luther pour éclaircir et approprier les nouvelles doctrines ; il ne l’était guère moins aux principaux chefs de la réforme, théologiens ou princes, et en particulier à l’électeur Frédéric de Saxe, pour tempérer la fougue de Luther et en obtenir, soit des con-

  1. Corp. ref., tom. I, no 286.