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BONAVENTURE DESPERIERS.

de médiocre valeur, a cependant été accueilli par Beyer et par Vogt, la première édition de ce livre fameux sortit des presses de Bourges. Ce qu’il y a de certain, c’est que cette édition n’a jamais été vue par Catherinot lui-même, qui en convient, et on est fort autorisé à la tenir au nombre des livres imaginaires. L’édition reconnue, jusqu’ici, comme originale, fut donnée à Paris par un pauvre libraire nommé Jehan Morin, et détruite avec tant de soin qu’on n’en connaissait plus que deux exemplaires au commencement du XVIIIe siècle, celui de la bibliothèque du roi, et celui du savant M. Bigot ; le premier a disparu depuis long-temps ; le second, qui avait passé de la bibliothèque de Gaignat dans celle de La Vallière, et qui avait été acquis pour le roi, si mes souvenirs ne me trompent pas, ne se retrouve, dit-on, pas plus que l’autre. On ne saurait donc où reprendre une de ces éditions originales du Cymbalum, si Benoist Bonyn ne l’avait réimprimé à Lyon en 1538, et les exemplaires en sont devenus si rares aussi, qu’ils se réduisent peut-être à celui que je possède, car l’exemplaire que je me souviens d’avoir vu à la bibliothèque du roi, il y a une vingtaine d’années, et qui était enrichi d’une copie de la requête du pauvre Jehan Morin, fac-simile fait avec soin de la main de Dupuy, paraît y avoir été vainement cherché, dans ces derniers temps, par les curieux. Jamais fatalité plus obstinée ne s’est attachée à la réputation d’un auteur et de ses écrits.

Un tel livre ne pouvait cependant pas se perdre absolument. Prosper Marchand le réimprima en 1711, avec une préface apologétique dont l’objet est fort singulier. Prosper Marchand, savant homme d’ailleurs, et qui se connaissait merveilleusement en livres, n’était pas doué d’un esprit de critique fort pénétrant ; il n’avait vu dans l’ouvrage de Desperiers qu’un badinage ingénieux dans le goût de Lucien, et il prend à tâche de prouver que le reproche d’impiété fait au Cymbalum Mundi, n’est fondé sur aucune raison plausible, ce qui prouve seulement que Prosper Marchand ne savait pas lire le Cymbalum Mundi. Voltaire adopta plus tard la même opinion, et ceci prouve autre chose, c’est que Voltaire ne l’avait pas lu. L’idée qu’un homme d’esprit du XVIe siècle avait jugé à propos d’écrire un volume de persifflages contre les dieux de la mythologie, et de jeter du ridicule sur Jupiter et sur Mercure en l’an de grace 1537, peut passer pour une des fantaisies les plus bizarres qui soient jamais entrées dans la tête des hommes. Dans Prosper Marchand, c’est la vision d’un pédant épris de l’auteur qu’il publie. Dans Voltaire, c’est le paradoxe d’un étourdi.