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cède pour dessiner sur la laque : on pique avec une épingle, ou pour mieux dire avec un outil pointu, un dessin tracé sur du papier ; on en suit exactement toutes les lignes ; on applique cette feuille de papier sur la laque destinée à recevoir le dessin, et on la recouvre d’une espèce de poudre que je pris d’abord pour de la farine, mais que je reconnus bientôt pour du talc pulvérisé. Cette poudre passe par les trous du papier et laisse sur la laque l’empreinte du dessin, qu’un ouvrier y grave avec un poinçon. Ce travail achevé, la laque passe dans les mains d’un peintre, qui étend avec un pinceau très fin sur les lignes déliées les premières couches rouges et brunes qui doivent précéder l’application de la dorure. Autrefois on n’employait pour les laques que la dorure mate et la dorure brillante ; aujourd’hui les Chinois y ajoutent des ornementations d’argent, de feuillages verts, de fleurs blanches et rouges. Hip-qua nous dit qu’il payait ses deux premiers peintres 20 piastres, ou 100 francs par mois ; quatre chefs d’atelier reçoivent chacun 75 francs, et les autres ouvriers sont payés de 4 à 5 piastres, 20 à 25 francs. Le travail dure depuis sept heures du matin jusqu’à cinq heures et demie du soir ; les ouvriers font deux repas par jour, pour chacun desquels on leur accorde une demi-heure. Hip-qua nous fit voir dans ses magasins une immense quantité d’objets confectionnés ; il se plaignait beaucoup de ce que la vente de ces articles devenait difficile. En effet, depuis quelque temps, les laques, ayant passé de mode en Europe, ont perdu sur le marché de Canton la moitié de la valeur qu’ils avaient il y a dix ans. — Nous remerciâmes Hip-qua de sa complaisance, et nous revînmes aux factoreries par un autre chemin, sans essuyer la moindre insulte ; cependant nous traversâmes un quartier où bien rarement on voit un Européen. Certes, si trois ou quatre Chinois se promenaient avec leur singulier costume au milieu des rues de Paris, ils exciteraient autrement la curiosité que nous ne le fîmes dans les rues de Canton, et peut-être, malgré la réputation de politesse dont jouit la population parisienne, pourraient-ils s’estimer heureux de rentrer au logis sans accident. Du reste, on m’assura que les agens de police ont ordre, lorsqu’ils rencontrent un étranger égaré dans la ville, de le protéger contre les insultes de la populace, et de le reconduire aux factoreries.


Adolphe Barrot.
(La seconde partie au prochain no .)