Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/331

Cette page a été validée par deux contributeurs.
327
UN VOYAGE EN CHINE.

étaient sans doute au travail. Je pus entrevoir à la dérobée quelques jolies figures qui ne se cachaient pas avec autant d’empressement que les autres, et j’acquis là une nouvelle preuve que la beauté est tout-à-fait une chose de convention. Tandis qu’en Turquie une femme grasse au point de ne plus avoir de formes est regardée comme la réalisation du beau idéal, tandis qu’en Afrique on recherche les négresses au nez le plus épaté, aux lèvres les plus épaisses, en Chine la beauté consiste en un visage uniformément plâtré de blanc, sur lequel se détachent des lèvres dont l’incarnat n’est pas dû à la seule nature. Presque toutes ces Chinoises avaient de très beaux cheveux, relevés au-dessus de la tête comme le cimier d’un casque, et maintenus par des épingles et des plaques d’or et d’argent qui en faisaient ressortir le noir de jais.

Mais il est bien temps que nous arrivions à la manufacture de laque. Le bon Hip-qua, qui s’est chargé de nous y conduire, a plus d’une fois donné des marques d’une impatience que son flegme chinois n’a pas réussi à contenir. Il ne peut concevoir que je m’arrête ainsi à chaque pas, et que j’examine avec tant de curiosité des objets qui n’ont pas le moindre intérêt à ses yeux. La manufacture de Hip-qua est la plus considérable de Canton ; elle occupe cent ouvriers. Hip-qua nous conduisit dans ses ateliers, et nous expliqua avec une complaisance parfaite tous les procédés par lesquels doit passer la laque avant d’arriver à l’état où nous la voyons, en Europe. Il nous fit voir dans une première salle les menuisiers occupés à préparer le bois. Lorsque ce bois, qui ressemble beaucoup au cerisier, a reçu la forme voulue, on le porte dans une seconde salle, où il est enduit d’une espèce d’argile à gros grains. Quand l’argile est bien sèche, on la racle au moyen d’une pierre plate et dure qui la fait pénétrer dans les pores du bois pour les remplir. Le bois ainsi préparé reçoit la première application de laque. Je désirais connaître la composition de ce vernis ; malheureusement jamais les réponses de Hip-qua ne furent moins claires : tout ce que je pus comprendre, c’est que la laque est formée d’un amalgame de plusieurs gommes d’arbres et du suc de diverses plantes. Hip-qua nous montra plusieurs caisses qui en étaient remplies, et nous dit que le prix de chacune de ces caisses, qui pouvait peser environ cinquante livres, était de quatre-vingts piastres, c’est-à-dire un peu plus de 400 francs. Mais il ne faut pas croire qu’une seule application de vernis suffise pour rendre la laque parfaite. La première couche est râpée aussitôt qu’elle est sèche ; la pierre dure l’enlève presque entièrement. Le bois ne conserve qu’une légère teinte de noir : il reçoit ainsi, suivant qu’on veut donner à la laque plus ou moins de fini, de trois à dix couches successives. Après la dernière couche, on le laisse sécher pendant un temps plus ou moins long. Tels sont les détails de la préparation de la laque simple ; celle qui est ornée de dessins exige un bien autre travail.

À voir le bon marché des objets laqués, je m’étais toujours imaginé que ces dessins dorés que j’admirais étaient le résultat d’une simple application ; mais j’eus lieu de me convaincre que j’étais dans l’erreur. Voici comment on pro-