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ne me crus pas offensé par un regard curieux ou par le cri d’un enfant, et je puis, aujourd’hui, rendre un témoignage favorable à la tolérance des Chinois de Canton.

Les deux villes réunies contiennent, dit-on, un million d’habitans. Cette évaluation est fondée sur la consommation du riz, qui est par jour d’un million deux cent cinquante mille livres, c’est-à-dire d’une livre un quart par personne. Cette immense consommation ne surprendra pas, quand on saura que le riz compose presque la seule nourriture de la population. Les gens pauvres y mêlent, lorsqu’ils le peuvent, un peu de poisson sec et de sel ; les riches ont un autre genre de vie dont je parlerai plus tard. Il serait assez curieux de calculer la quantité de riz que consomme annuellement la Chine. Or, si on réduit à deux cent cinquante millions la population entière de la Chine, quoique plusieurs voyageurs la fassent monter jusqu’à trois cents millions ; si on réduit aussi à une livre par jour la quantité de riz consommée par chaque individu, on a une consommation annuelle de quatre vingt-onze milliards deux cent cinquante millions de livres, ou de deux cent cinquante millions par jour. Ainsi, en supposant que tout le céleste empire se nourrisse de même, les Philippines, qui, dans les bonnes années, importent en Chine environ cent vingt-cinq millions de livres de riz, lui fournissent à peine de quoi suffire aux besoins d’une demi-journée ; et l’importation totale du riz étranger, évaluée à deux cent cinquante millions de livres, donne juste la quantité nécessaire à la consommation d’un jour. Il est bon d’ajouter que l’importation du riz ne se fait que pour la province de Canton, qui seule consomme le riz étranger.

La ville extérieure a été enlevée aux inondations de la rivière ; elle est toute entière bâtie sur pilotis, sous lesquels l’eau circule à la marée haute. Il a fallu un travail immense pour élever des rues au-dessus de cette eau mouvante et pour y bâtir des maisons. Les constructions européennes sont trop lourdes pour ce terrain factice, et le niveau de quelques-unes s’est abaissé de plusieurs pieds. Les maisons chinoises n’ont en général qu’un rez-de-chaussée surmonté d’un étage, ordinairement très bas, et fait de matériaux très légers. J’ai cependant vu une maison d’un étage toute de pierres de taille, et qui a été construite, m’a-t-on assuré, il y a deux mille cinq cents ans. La ville s’étend de l’est à l’ouest le long de la rivière, sur une ligne d’environ deux lieues ; sa profondeur jusqu’à la muraille de la ville intérieure est d’un mille au moins.

Mais une description anticipée courrait risque d’être confuse, et peut-être, pour mieux connaître la cité chinoise, préférez-vous me suivre dans mes longues et aventureuses promenades. — Une occasion favorable se présente : il s’agit de visiter une manufacture d’objets laqués, et, pour y arriver, nous aurons deux milles à faire au milieu des rues les plus populeuses de Canton ; nous pourrons observer de plus près ce peuple sur lequel on se forme des idées si fausses et souvent si injustes. La première rue dans laquelle nous entrons est celle des bouchers et des marchands de comestibles. Dans les villes chinoises, chaque profession a son quartier qui lui est propre, ce qui ne laisse pas, à mon avis, d’avoir un grave inconvénient pour ceux dont la demeure