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fenêtres sont garnies d’un transparent de toile qui protége les habitans contre les regards profanes. Pour les Chinois riches, ces saturnales durent souvent tout le temps de la première lune. — Pendant les deux premiers jours de l’année, toutes les boutiques sont fermées, tout travail est interrompu ; c’est le temps du délassement et du plaisir ; c’est, d’ailleurs, le seul moment de repos que connaisse cette population laborieuse. Le reste de l’année appartient au travail, à l’exception de deux ou trois jours privilégiés, que ceux qui le peuvent ne manquent pas de fêter avec enthousiasme : tel est le jour de la fête du dragon, jour de mascarades et de folies, où le dragon joue le principal rôle ; telle est aussi la fête des lanternes. Dans la nuit de cette dernière fête, Canton offre réellement un spectacle extraordinaire : chaque maison est illuminée, chaque bateau dans le port et sur la rivière est chargé de lanternes ; les gongs retentissent, la musique crie, le peuple hurle ; tout concourt à étourdir les oreilles, à éblouir les yeux. Le cham-cho, vin fait de riz, circule avec profusion, et cette population, ordinairement si sobre, devient véritablement folle.

Dans l’après-midi, on me proposa une promenade par eau jusqu’aux jardins de Fa-tee, à environ quatre milles au-dessus de Canton. L’exercice de la rame est un des principaux amusemens, si ce n’est le seul, des Anglais de Canton ; ils ont tous de légers canots appelés wherry, et qu’on conduit avec deux, quatre ou six rames. Ce sont des embarcations très basses, et il faut une grande expérience pour y manier la rame. Notre équipage se composait d’un Chinois au gouvernail, d’un surintendant anglais, d’un lieutenant de vaisseau de la marine royale, et de deux commissaires ou agens de l’honorable compagnie des Indes. Ces messieurs commencèrent par ôter leur habit, malgré la rigueur de la température, puis chacun prit une rame numérotée, et bientôt, grace à leurs efforts réunis, la barque vola rapidement sur les eaux. — Cet exercice doit être très salutaire, et dans un pays où la promenade est circonscrite dans un espace de quelques centaines de toises, entouré de hautes maisons, je le crois presque indispensable. — Pour moi, assis à l’arrière de la barque, je grelottais de froid, enveloppé dans mon manteau, pendant que mes compagnons, animés par le mouvement de la rame, brillaient des plus belles couleurs. Nous arrivâmes en moins de trois quarts d’heure aux jardins de Fa-tee. Ces jardins, au nombre de huit ou dix, sont rangés sur une même ligne le long d’un bras de la rivière ; c’est une pépinière d’où les riches habitans de la ville tirent les arbres et les fleurs qui ornent leurs maisons ; ils se composent chacun de quinze ou vingt allées formées par des rangées de pots qui s’élèvent de chaque côté sur cinq ou six gradins, et entretenues avec le plus grand soin ; des pièces d’eau, des kiosques, des chaumières, dans quelques-uns des temples, en font un séjour délicieux, et dont l’aspect ne le cède en rien à ceux de nos plus belles maisons de campagne. J’eus là de curieux exemples de l’art avec lequel les Chinois savent réduire la nature dans les limites qu’il leur plaît de lui donner. Ainsi je vis des orangers, ayant à peine un pied de haut, tout couverts de fruits dorés, des pommiers dont les branches