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UN VOYAGE EN CHINE.

est horrible la vie à laquelle ils se condamnent, pour croire qu’aucune compensation ne peut leur être offerte ici-bas pour leurs privations et leurs fatigues. L’année dernière encore, en Cochinchine, plusieurs missionnaires furent égorgés par ordre du roi, après avoir subi de cruelles tortures. À peu près à la même époque, M. Bruguière, évêque de Capse et vicaire apostolique de la Corée, traversa toute la Chine, exposé à mille dangers dont on ne peut se faire qu’une idée imparfaite, même en lisant la touchante et simple narration qu’il nous a laissée. Après avoir passé plusieurs mois au milieu des arides déserts de la Tartarie, M. Bruguière alla, en vue de cette Corée où l’appelait sa mission sublime, mourir de froid et de faim ! Ces terribles exemples, loin de décourager les autres missionnaires, ne font qu’accroître leur enthousiasme. On peut déplorer que toutes ces belles et grandes natures soient, pour ainsi dire, perdues pour la société ; moi, je les admire ; et, quand je me trouvais au milieu d’eux, je ne pouvais me défendre de les aimer et de les plaindre, en les voyant si doux, si tolérans, si simples, ces hommes au cœur de chêne, taillés dans les proportions des premiers héros du christianisme.

Sait-on ce qu’est la vie d’un missionnaire qui se dévoue à la cause de sa religion ? Un jeune prêtre est envoyé de France à Macao ; il est ordinairement dans toute la force de l’âge et des passions. Le nouveau venu passe au moins deux ans dans la procure, caché, ignoré des autorités locales dont le zèle persécuteur est stimulé par la rivalité jalouse des autres missions. Durant ces deux années, il consacre tous ses momens à l’étude de la langue chinoise ; il laisse croître ses cheveux, afin d’avoir, quand sonnera le moment du départ, cet appendice nécessaire du costume chinois, qu’il endosse d’ailleurs dès le jour de son arrivée, afin de s’y habituer à l’avance. Puis, quand le procureur de la mission juge que le moment favorable est venu, le missionnaire prend congé de ses frères, comme un condamné qui marche à la mort, résigné cependant, joyeux même, tant est puissant le sentiment qui le domine ! Il part sous la conduite d’un Chinois chrétien ; il pénètre dans l’intérieur de la Chine. À chaque pas s’offrent mille obstacles ; les mandarins exercent une redoutable surveillance, et, si le voyageur est découvert, il doit s’attendre à l’emprisonnement, à la torture, souvent à la mort. Je ne parle pas des privations sans nombre de cette pénible existence, ce sont les fleurs de son pèlerinage. Enfin, le missionnaire est sorti sain et sauf de tous les périls, il est parvenu à un petit village, situé au fond de la Chine, où il rencontre quelques chrétiens qui vivent cachés et ignorés. C’est là son troupeau. Ces pauvres chrétiens ont constamment à redouter la colère du mandarin. En effet, si ce dernier venait à soupçonner leur religion, il les ferait saisir comme des malfaiteurs, et, après leur avoir infligé les plus cruels châtimens, il les vendrait comme esclaves, eux et leurs familles. Telles sont les tentations que le missionnaire peut faire briller aux yeux d’une population mortellement ennemie du christianisme. Une hutte, une caverne, sont sa demeure et son église. Quand je partis de Macao, un jeune homme de vingt-cinq ans, qui avait reçu une éducation recherchée, — naturaliste, musicien, dessinateur, — doué de toutes sortes de