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la tribune les appelle à chaque instant pour diriger ou rectifier une situation dont ils forment une si grande partie eux-mêmes.

Les projets ne manquent pas non plus au cabinet pour la session prochaine : on en a publié une liste, destinée à donner une haute idée de la fécondité de M. le garde-des-sceaux en particulier. Il est toujours permis de se défier un peu de ces magnifiques promesses : les hommes politiques, ordinairement, annoncent moins qu’ils ne font. Le programme ministériel, déjà si long, recevra peut-être encore quelque addition d’ici l’ouverture des chambres. On parle d’un projet de loi de déportation, par lequel on veut rendre possible l’application de cette peine et la régulariser. Maintenant les condamnés à la déportation ne sont pas déportés, mais détenus à perpétuité dans une des prisons de l’état ; ce qui paraît à plusieurs une aggravation de la première peine. Le gouvernement songerait à faire cesser cet état de choses ; il espérerait trouver un lieu convenable de déportation dans une ou deux îles de l’Océanie que lui céderait l’Angleterre ; il aurait fait un appel à ce sujet à l’expérience et aux lumières de plusieurs personnes, entre autres de M. le duc Decazes. Si la France pouvait avoir un Botany-Bay, si elle pouvait ainsi dégorger ses prisons et travailler, dans un autre hémisphère, à l’amélioration morale des condamnés, les amis de l’humanité ne pourraient qu’applaudir à ce résultat. Nous aimons mieux des projets de cette nature que le dessein qu’on prête à M. le garde-des-sceaux de provoquer une révision des lois de septembre. M. Teste a apporté au ministère et au maniement des affaires une ardeur d’autant plus intense et d’autant plus vivace qu’elle a survécu à la jeunesse ; mais il ne faut pas que cette qualité, qui peut être précieuse quand elle est contenue dans de justes limites, l’emporte trop loin, le pousse à s’attaquer à tout ; on juge, on apprécie un ministre autant par ce qu’il ne fait pas que par ce qu’il fait. C’est ce dont nous voudrions également voir convaincu M. le ministre des finances, s’il est vrai qu’il prépare une loi sur la conversion des rentes, s’il est vrai qu’il ne veuille pas laisser s’écouler la session prochaine sans opérer cette révolution financière. Mais jamais les circonstances n’ont moins permis de songer à une mesure si inquiétante et si délicate. Quand on a parlé de la conversion des rentes, les affaires extérieures n’étaient pas arrivées à ce degré de complication où nous les voyons aujourd’hui. Le drame si embrouillé qui se joue tour à tour à Constantinople et à Alexandrie n’avait pas commencé ; il n’y avait pas à l’intérieur autant d’inquiétudes et de souffrances ; l’industrie n’était pas arrivée à cet état de langueur et de dépression sous lequel elle se débat si péniblement. Loin d’annoncer la conversion des rentes, il faudrait, au contraire, déclarer qu’on n’y songera pas de long-temps. Déjà la commission nommée par M. le garde-des-sceaux pour examiner la transmission des charges et des offices a effrayé beaucoup d’intérêts. Faut-il encore jeter d’autres alarmes parmi les rentiers ? De cette manière on porterait la perturbation dans tous les élémens de la fortune publique, dans tous les capitaux et toutes les existences. Sans pousser trop loin ces craintes, nous ne saurions trop recommander au ministère de rassurer, s’il se peut, l’opinion, de raffermir l’esprit public par une attitude plus