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Avant deux mois, l’Orient aussi sera probablement un beau thème pour l’éloquence ministérielle. Les fantaisies de lord Palmerston ont fort heureusement échoué contre le bon sens national. L’Angleterre n’entend pas faire bon marché de notre alliance pour se jeter dans je ne sais quelles aventures avec sa véritable rivale, la Russie.

Délivré avec bonheur des soucis de cette première phase, le ministère voit l’affaire d’Orient se simplifier et se présenter sous un aspect plus conforme aux intérêts de la France et de l’Europe. Par cela seul que les projets auxquels le gouvernement français ne pouvait adhérer ont échoué, les propositions de la France ont dû prendre le dessus, dominer la discussion, et rester seules l’objet des négociations. La question ainsi posée, il ne s’agit plus que de savoir si on retranchera ou non quelque chose aux possessions actuelles de Méhémet-Ali. Le rôle de la France, appuyée de l’Autriche et de la Prusse, est de se placer comme médiatrice entre le pacha et la Porte, tout en faisant contre-poids en faveur du premier à l’Angleterre et à la Russie, qui, pour des raisons diverses, pèsent dans la balance au profit de la Turquie. Si la question pouvait être résolue en Europe, si on n’avait à redouter ni les complications que peuvent faire naître l’humeur et l’obstination de Méhémet-Ali, ni les faits imprévus qui peuvent toujours éclater d’un instant à l’autre dans un pays comme l’Orient, on pourrait affirmer que dans un mois un arrangement tolérable mettra fin pour le moment à cette immense question. Le ministère l’espère, et il a raison de l’espérer : des probabilités sont pour lui.

Il peut donc se flatter de se présenter aux chambres avec des chances favorables. En leur disant : Je vous apporte la transaction de l’Orient et la pacification de l’Espagne, le couronnement de Méhémet-Ali et l’exil de don Carlos, la monarchie constitutionnelle assurée dans la Péninsule et l’influence française à Constantinople et en Égypte ; qu’aura-t-il à craindre d’une chambre encore tout effrayée des souvenirs de la dernière crise ministérielle ? Si quelque voix accusatrice osait s’élever, le vainqueur de Toulouse aurait-t-il autre chose à faire que de monter à la tribune pour s’écrier : Messieurs rendons-nous à Notre-Dame remercier la Vierge pour tous nos succès ?

À l’intérieur aussi, le ministère a eu sa bonne fortune. L’opposition s’est jetée tête baissée dans les épines de la réforme électorale. L’opposition est plus que jamais divisée, déchirée, impuissante. Elle n’a pas assez de tout son temps pour ses querelles, ses récriminations, ses débats intérieurs. Le ministère se présentera aux chambres appuyé sur l’Espagne et l’Orient, et ne trouvant à combattre que des adversaires éparpillés, désunis, des soldats sans chefs, des chefs cherchant inutilement à rallier des soldats. Le ministère aurait eu la malice de jeter à l’opposition une pomme de discorde qu’il n’aurait pas mieux réussi.

On pourrait croire sérieusement que, dans cet état de choses, le ministère n’a, pour exister fort agréablement, qu’à le vouloir, qu’il traversera la session à pleines voiles, pour ensuite se reposer de nouveau sur un lit de roses, se bercer