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tente et à quel froid mari on la donne ; mais tels sont les mœurs et le caractère de cette jeune fille, que je n’en aurais pas osé demander une autre aux dieux immortels. » Du reste, il se prêta de si bonne grace à son bonheur, que les mêmes amis qui lui avaient trouvé une femme le décidèrent, quoiqu’il eût voulu quelque délai, à hâter son mariage, « pour éviter, écrit Luther à Spalatin, le danger des mauvaises langues[1]. » Le 29 novembre 1520, un charmant distique, affiché aux portes de l’académie de Wittemberg, annonçait aux étudians que Philippe Mélancthon prenait ce jour-là de doux loisirs, et qu’il ne ferait pas de leçon sur saint Paul[2].

Cette union, qui dura trente-sept ans, fut heureuse. Catherine Krapp était une femme pieuse et fort attachée à son mari, excellente mère de famille, si bienfaisante pour les pauvres, qu’après avoir épuisé sa bourse, elle allait importuner ses amis de ses demandes d’aumônes ; n’ayant d’ailleurs nul souci de sa personne et nul soin de son extérieur, ce qui ne blessait pas Mélancthon, lequel était insensible à toute espèce de délices[3]. Deux ans après son mariage, il faisait à un ami cet aveu touchant : « Je pense que je n’ai pas reçu du ciel un médiocre bienfait, puisqu’il m’a fourni matière à bien mériter d’une femme, et qu’il m’a rendu père d’un enfant[4]. »

Sa situation comme professeur, d’abord très gênée, s’était peu à peu améliorée, grace aux soins de Luther. Au reste, les embarras d’argent étaient les moindres ; il en éprouvait de plus grands, soit des étudians, soit des magistrats. Ceux-ci, par défaut de lumières ou par jalousie du crédit des professeurs, ne se prêtaient pas ou s’opposaient aux mesures de discipline que prenait l’académie. Mélancthon voulait ardemment deux choses : qu’on tînt les élèves renfermés, et que chacun eût un professeur particulier pour répondre de lui. Il demandait qu’aucun élève ne pût être logé en ville que sur la permission écrite du recteur ; mais cette prétention entreprenant sur les priviléges de la cité, les magistrats s’y refusaient. De là toutes sortes de désordres. Ajoutez la résistance des jeunes gens d’alors, qui, semblables, à cet égard, à ceux d’aujourd’hui, croyaient que le vrai savoir consiste à entendre beaucoup de choses, et suivaient tous les cours à la fois. Mélancthon insistait pour que chaque professeur en prît

  1. Lettres de Luther.
  2. A studiis hodie facit otia grata Philippus,
    Nec vobis Pauli dogmata sacra leget.

  3. Camerarius. Vita Phil. Mel.
  4. Corpus reformatorum, tom. I.