Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/278

Cette page a été validée par deux contributeurs.
274
REVUE DES DEUX MONDES.

les larmes se mêler à la rosée du ciel, ou les gouttes de sang trembler sur les épines de l’églantier. Philosophe païen, amant passionné de la sève, de la végétation et de la vie, pour lui la mort serait encore la vie sans les fantômes inventés par le catholicisme. Aussi, lorsqu’il parle des fins de l’homme, il a bien soin toujours de sauter sur cette transition lugubre que les familles déplorent, et dès-lors son idéalisme vainqueur ouvre sa grande aile au soleil, et se donne carrière dans la plaine éthérée de la métaphysique. « Non, la nature, s’écriait-il un jour, n’est pas si folle que d’agglomérer de si intelligentes particules pour les disperser ensuite à tous les vents, et détruire ainsi le faisceau qui a été lié et maintenu. » Quelquefois il lui arrivait d’envisager la mort sous son aspect plastique, sans doute pour se mesurer de plus près avec elle, et pour essayer vis-à-vis de cet athlète surhumain l’irrésistible puissance dont il se sentait investi[1].

L’élément divin que la nature lui avait départi dominait dans toute sa personne. Quelle imposante grandeur ! quelle inviolable majesté ! Un front de Jupiter large et voûté, des sourcils hardiment accusés, un nez aquilin et royal, la lèvre un peu pincée en partie par l’âge, en partie par l’habitude du silence. Autour de sa bouche, l’égoïsme avait creusé ses sillons. Quant à son œil, il me semble impossible de le peindre et fort difficile de l’indiquer : son œil n’avait ni l’égarement prophétique du portrait de Stieler, ni la rêverie mélancolique du dessin de Vogel ; large, mais sans excès, bien ouvert, un peu terne, il se distinguait moins par la pénétration instantanée du regard que par une faculté singulière qu’il avait de fixer les objets long-temps et de se les soumettre. Le sculpteur David me semble avoir mieux réussi à le rendre, peut-être parce que les traits de cette face auguste, et, chose étrange, l’œil aussi (par l’espèce de voûte qu’il forme), conviennent mieux à la statuaire qu’à la peinture. Les pupilles en relief sur leur champ d’argent et d’azur se mouvaient lentement ; mais ce qu’elles saisissaient, elles le saisissaient bien, et le

  1. Pendant la maladie qui lui enleva son fils, au moment où le malheureux allait succomber à sa dernière crise, Goethe, assis immobile au chevet, se leva tout à coup, et, secouant la torpeur dans laquelle il était plongé : « Elle est là, dit-il, la Mort ! elle est là, qui étend ses longs bras sur nous ! Mais patience, mon ami, cette fois encore elle ne nous aura pas ! »

    « La Mort est un pitoyable peintre de portraits, dit-il à l’occasion de Wieland ; je veux conserver dans mon souvenir des êtres que j’ai chéris quelque chose de plus animé que ce masque affreux qu’elle leur pose sur le visage. Aussi je me suis bien gardé d’aller voir, après leur mort, Herder, Schiller et la grande-duchesse Amélie. »