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GOETHE.

sa verve et l’enjouement qu’il avait alors, lisant volontiers ses vers, communiquant à tous ses projets, ses idées, effeuillant au hasard ses premiers livres, lorsque, le 28 août, à l’occasion de l’anniversaire de sa naissance, plusieurs pièces de vers lui furent adressées, dans lesquelles se trouvaient, à côté des éloges les plus flatteurs, de sévères remontrances sur l’oubli qu’il faisait de son génie, et de vives exhortations pour qu’il eût à reprendre ses travaux, qu’il semblait négliger à dessein. Herder surtout, dont Goethe redoutait si fort l’opinion dès cette époque, après l’avoir plaisanté sur ses goûts pour les sciences naturelles, finissait par lui conseiller, en souriant, de laisser là ces pierres inertes qu’il s’obstinait à cogner, et de tourner ses facultés vers des travaux plus sérieux. Goethe profite de la leçon, et sur-le-champ, sans dire un mot à son prince, sans prévenir un seul de ses amis, il rassemble ses manuscrits et part pour l’Italie en telle diligence, qu’il arrive à Trente le 11 septembre. Il ne s’arrête pas, franchit le Tyrol, séjourne à peine trois heures à Florence ; un irrésistible ascendant l’attire vers Rome, et, lorsqu’il y est seulement, il se prend à ouvrir la bouche pour saluer avec joie ses amis de Weimar. Là, il se livre aux impressions profondes de la ville éternelle ; son attention se partage entre les ruines d’un grand peuple et la vie sensuelle des Italiens ; il se recueille, et, dans le silence absolu de la contemplation, laisse les merveilles de l’art moderne agir sur lui paisiblement. Sa première soif apaisée, il se lie avec Tischbein, le peintre, Angelica Kauffmann, et tous les autres artistes allemands qu’il trouve à Rome. Son admiration l’absorbe tout entier. Nul ne sait ce qu’il pense ; dans ses lettres, dans ses entretiens, il se montre avare d’observations ; on sent qu’il rumine dans les profondeurs de son ame. Tant voir et tant admirer l’épuise ; il a peine à séparer ses impressions les unes des autres, à les rendre. « Une plume ! quand on devrait écrire avec mille poinçons ! Mieux encore : il faudrait rester ici des années dans un silence pythagoricien. Une journée dit tant de choses, qu’on ne devrait pas oser dire la moindre chose de la journée. » Insensiblement, il s’habitue à vivre au milieu de tant de chefs-d’œuvre ; à la fougue des premières impressions succède une paix plus profonde, un penchant plus prononcé pour la plastique, et, le 25 décembre, il écrit : « Je vois les meilleures choses pour la seconde fois, car le premier étonnement se confond dans l’œuvre dont il semble qu’on partage la vie, et se perd dans le pur sentiment de sa valeur. » Les arts et les sciences se disputent son activité ; il étudie à la fois la perspective et l’anatomie pratique ;