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nument de son œuvre, Schiller avec l’aide de Goethe, Goethe avec l’aide de Schiller.

Du reste, les mêmes différences qui existent entre les deux génies se retrouvent dans les personnes. La tendance idéaliste de Schiller a peut-être sa source dans une mélancolie douloureuse, dans un fonds de tristesse et d’amertume qu’avaient dû laisser en son ame les cruelles épreuves de sa jeunesse. On le sait, à son entrée dans la carrière, Schiller ne rencontra que les souffrances et la misère. En 1801 encore, il n’aurait pu passer l’hiver à Weimar, où l’appelait le soin de sa santé délabrée, sans un secours que Goethe obtint pour lui du grand-duc. Voici ce que dit Goethe à ce sujet dans la dédicace de sa correspondance au roi de Bavière, en parlant de Schiller : « On a pris soin de son existence, on a éloigné de lui les nécessités domestiques, élargi le cercle de ses relations, et lui-même on l’a transporté dans un élément plus sain. »

Goethe, lui, fut toujours placé dans d’autres conditions, personne ne l’ignore. On a beau jeu, dira-t-on, à venir parler de la force d’ame et de l’énergie d’un homme que sa naissance et la faveur des grands mettent dès ses premiers pas au-dessus des nécessités de l’existence. Cependant il suffit d’envisager l’attitude ferme et décidée que Goethe conserva toujours vis-à-vis de l’adversité qu’il devait rencontrer lui-même, lui si heureux, plus d’une fois sur son chemin, pour bien voir que la force de son caractère eût dominé les circonstances par lesquelles Schiller se laissa si cruellement abattre. Goethe, dans la vie réelle comme dans la vie idéale, demeure toujours maître de lui-même ; les circonstances ne peuvent rien sur sa conduite, rien sur son inspiration ; il s’élève au-dessus d’elles, il les domine et les foule aux pieds dans la plénitude de sa force et de sa

    pendant un voyage qu’il fit en Suisse avec le prince héréditaire de Weimar, vers l’année 1797. Goethe communiqua son idée à Schiller, qui se prit d’enthousiasme pour elle et la mit en œuvre, on sait comment. On dit même qu’il ne s’en tint point là, et donna généreusement à son illustre ami plusieurs indications de détail sur la manière de traiter le sujet. C’est un bruit assez généralement accrédité parmi les commentateurs d’Allemagne, que l’idée d’amener Jean le parricide au dénouement a été suggérée à Schiller par Goethe. Même en éloignant toute insinuation qui tendrait à disputer à Schiller la propriété légitime de son œuvre, nous inclinons assez à croire à cette collaboration lointaine, ou, si l’on aime mieux, à cette influence de l’auteur d’Egmont dans Guillaume Tell. Le mouvement de cette pièce rappelle la manière de Goethe dans ses drames historiques, et peut-être qu’il y aurait un rapprochement assez curieux à faire de ce point de vue entre Guillaume Tell et Goetz de Berlichingen.