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degrés moyens, et cependant aujourd’hui tout est précipitation ; on ne voit que gens disposés à n’agir que par soubresauts. Faites le bien à votre place, sans vous inquiéter de la confusion qui, près ou loin, perd le temps de la plus déplorable manière ; bientôt les indifférens se rallieront à vous, et la confiance et les lumières, s’étendant à mesure, vous formeront d’elles-mêmes un cercle qui grandira toujours. »

Et quelle statistique de l’intelligence pourrait énumérer les cercles infinis que Goethe a tracés de la sorte pendant le cours de son infatigable existence. Autour de lui tout s’anime, prend vie, et s’habitue à l’activité saine. Il éveille l’émulation, maintient chacun dans sa sphère, et proclame jusqu’à la fin, par son exemple, la souveraineté de l’ordre, de la fermeté, de la persévérance. « Il n’y a que deux routes pour atteindre un but important et faire de grandes choses, disait-il souvent : la force et la persévérance. La force ne tombe guère en partage qu’à quelques privilégiés ; mais la persévérance austère, âpre, continue, peut être mise en œuvre par le plus petit et manque rarement son but, car sa puissance silencieuse grandit irrésistiblement avec le temps. »

Sitôt que les évènemens lui permettent de reprendre le libre cours de ses études, il se rend à Iéna, renoue amitié avec les professeurs de l’université, fonde des musées, rassemble des collections de toute espèce, donne au jardin botanique une étendue plus vaste et des richesses plus grandes, et, par les froids rigoureux de l’hiver, on le voit tous les jours assister de grand matin au cours d’anatomie du docteur Loder. C’est là qu’il rencontre Schiller pour la première fois ; là, dans une salle d’étude, au milieu de toute une jeunesse active et laborieuse, ces deux représentans augustes de la pensée humaine se donnent pour la première fois la main. Iéna réunissait alors, entre autres personnages d’importance, Wilhelm et Alexandre de Humboldt ; la sympathie, le désir insatiable d’approfondir et de connaître les intérêts sacrés de l’intelligence, tout les porte à se lier avec Goethe et Schiller, qui, à leur tour, trouvent joie et profit dans le libre commerce d’idées qui s’établit aussitôt entre eux et les deux nobles frères. On n’ignore pas ce que la science doit à cette association harmonieuse, où, chacun renchérissant sur l’idée de l’autre, les découvertes comme les succès, tout était commun.

Goethe dirige aussi le théâtre à Weimar, et la plus glorieuse récompense de ses peines sans nombre et des sacrifices de son temps, il la trouve dans la vive sympathie et les actions de grâces de Schiller qui le supplie de présider aux répétitions de ses chefs-d’œuvre, et ne