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GOETHE.

de la vie sociale. Et là seulement où le développement intellectuel et moral se trouvait arrêté dans ses progrès, où l’exploitation légitime des forces de la nature ne pouvait aboutir, où les plus nobles biens de l’existence étaient soumis au jeu des passions déchaînées, à la domination de la force brutale, là seulement était pour lui la vraie tyrannie, le despotisme insupportable. Jamais il ne s’écartait de ces principes qu’il servait de sa parole et de sa plume, dévoilant, dans leur misère et leur néant, le faux, le vulgaire et l’absurde, s’alliant aux esprits élevés et droits, proclamant sans cesse et partout cette liberté de la pensée et de la volonté intelligente, qui sont les plus nobles droits de l’humanité. Du reste, ses observations sur la politique ne se produisent jamais dans ses œuvres que sous une forme mystérieuse et symbolique ; il n’y a guère que dans Wilhelm Meister et les Aphorismes poétiques, qu’on les trouve exposées clairement, et mises en lumière ; encore fait-il ses réserves et se garde-t-il bien de les vouloir donner pour une recette universelle. L’attitude que Goethe prend vis-à-vis des évènemens est toujours imposante et froide. Il envisage la politique du point de vue de l’histoire, bien plus que de la polémique. Allemand de Francfort, la vieille ville impériale, ami intime de Charles-Auguste, à ses yeux le gouvernement est une harmonie qui résulte des droits du souverain et des devoirs du peuple, menés avec intelligence et dignement compris. Quant à l’intervention de la force, il en a horreur presque à l’égal du radotage passionné des partis ; l’une trouble le calme de l’existence, l’autre en abolit le sérieux. Rien ne l’afflige et ne le désespère comme de voir l’esprit d’inconstance et de frivolité toucher aux choses grandes, importantes, fécondes. On sait de quelle manière il reçut Mme de Staël, qui, après lui avoir annoncé la trahison de Moreau, lui demandait de changer de sujet et de passer à de plus agréables entretiens. « Vous autres jeunes gens, disait-il, vous vous remettez vite, lorsque par hasard une explosion tragique vous frappe momentanément ; mais nous, vieillards, nous avons toute raison de nous garder de ces impressions qui nous affectent puissamment et ne font qu’interrompre sans profit une activité conséquente. » Dans une autre circonstance, il écrit à un de ses jeunes amis : « Peu importe le cercle dans lequel un homme noble agit, s’il le connaît exactement, et s’il le sait remplir. De ce que l’homme ne peut agir, il ne faut pas qu’il se tourmente et cherche une prétendue action au-delà du centre où Dieu et la nature l’ont placé. Toute précipitation est funeste : je ne sache pas qu’on ait jamais trouvé de grands avantages à franchir les