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DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

comprendre une assemblée politique votant l’impôt sans que ses membres dussent en supporter leur part, et que le cens d’éligibilité était, dans la pensée de la loi, ce gage d’indépendance qu’il réclamait avec raison pour les mandataires du pays. — « Mais, me dit M. de N…, votre cens d’éligibilité est une illusion, s’il s’agit de garantir aux candidats une existence vraiment libre. Osez le quadrupler, ou sachez le supprimer complètement : c’est le seul moyen d’entrer dans un ordre vrai ; autrement vous aurez les inconvéniens des deux systèmes sans aucun de leurs avantages. Quant à la crainte de voir des hommes sans valeur et sans moralité se présenter à vos comices électoraux, j’en suis, je l’avoue, infiniment plus touché ; car je n’admets pas, avec vos démocrates, que la liberté consiste dans la faculté laissée aux peuples de faire des fautes. Je ne comprends les faits politiques que comme le reflet des idées ; il faut que votre constitution se pose un but à elle-même, et qu’elle sache embrasser tous les phénomènes dans une large et vivante synthèse. Je ne repousse donc aucunement vos conditions préalables de candidature, mais je les voudrais plus en harmonie avec les principes qui vous régissent. Je siége aux états parce que mes pères, anciens seigneurs immédiats, m’ont laissé une terre noble ayant droit de représentation. Rien de plus logique, puisque le droit est chez nous étroitement lié au sol, comme une modification à la substance ; mais ici, où vous prétendez mettre le pouvoir au concours, je voudrais un gage de lumières que ne vous donnent pas à coup sûr vos 500 francs d’impôt. — Voudriez-vous donc, m’écriai-je, faire passer des examens aux députés comme aux candidats pour l’École polytechnique ? — Et pourquoi pas ? reprit le baron avec un imperturbable sang-froid ; pourquoi votre droit d’éligibilité, au lieu de s’appuyer sur un fait sans signification réelle, ne résulterait-il pas d’une aptitude constatée, par exemple, l’obtention de grades académiques ? On remue chaque jour dans cette enceinte les plus hauts problèmes du monde intellectuel et social ; on discute le budget de la justice, des cultes, de l’université, des finances, et tout cela se vote sans que la conscience publique soit édifiée sur la compétence de vos législateurs. — Faudrait-il donc qu’avant d’aspirer à la chambre, chacun eût dans sa poche ses parchemins de docteur en droit, de licencié ès-lettres ou de bachelier en théologie ? À ce compte, je craindrais qu’il y eût en France moins de candidats que de députés à élire. — On statuerait par une loi transitoire et des dispositions à long terme. — Fort bien, repartis-je ; mais, pour être conséquent avec votre doctrine, ne faudrait-il