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DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

changer d’attitude vis-à-vis d’elle ; si on ne l’admet point, cette chambre n’a plus une existence digne du pays et digne d’elle-même ; elle ne répond pas au but de son institution : c’est un embarras pour tous sans être une force pour personne.

Voyez maintenant le contraste, et suivez-en les étranges conséquences. En face de la pairie s’élève une autre chambre riche assurément en talens, en espérances, en vives et légitimes ambitions, mais dont il est licite de ne pas trouver le niveau intellectuel aussi constamment élevé. Cette chambre a tout ce qui convient pour imprimer une impulsion générale aux affaires ; mais elle manque trop souvent (comment le méconnaître ?) de l’esprit de suite indispensable pour les conduire. La nature même de son génie l’appellerait plutôt à influer sur l’ensemble d’une situation qu’à choisir les instrumens actifs du gouvernement. En contact immédiat avec l’opinion nationale, elle sent à l’unisson de cette opinion même ; mais le sens si droit qu’elle apporte dans l’appréciation des idées et des intérêts généraux, ne court-elle pas risque de le perdre lorsqu’il s’agit de choisir les hommes ? N’est-elle pas visiblement dans l’impuissance de les éprouver et de les connaître ? N’est-elle pas dominée par des impulsions et par des manœuvres également propres à fausser la sûreté de son jugement ?

Un jeune homme inconnu trouve dans son petit arrondissement soixante-quinze parens, alliés ou condisciples, sur cent cinquante électeurs inscrits qui consentent à lui ouvrir l’accès des affaires publiques, où il reçoit pour mission de soigner en même temps et ses propres intérêts et ceux de ses amis. Il arrive à la chambre, aborde la tribune, et s’y tient bien. Il a grand soin de se placer dans les conditions requises pour naviguer toujours avec la presse, et recevoir dans ses voiles le souffle quotidien de ses organes. La France ne sait encore rien de lui, sinon qu’il a prononcé quelques discours heureux ; elle ignore quel gage il offre à la morale publique par son caractère et par sa vie, de quelle puissance d’application, de quelle prudence et de quelle mesure il peut être doué pour les affaires, et déjà peut-être le voilà ministre. Il dirige, à la tête de l’instruction publique, le mouvement intellectuel d’un grand royaume ; il a charge d’y combiner l’ensemble des plus gigantesques travaux ; il préside son conseil d’état, choisit ses magistrats, élabore et tranche les plus hauts problèmes de la législation civile et criminelle ou de l’économie politique. Si vous exceptez, et je ne saurais trop vous dire pourquoi, les départemens de la guerre et de la marine, il peut, sur