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MÉLANCTHON.

et, pour me servir de sa forte expression, la purgeant de ce grossier mélange des éthiques d’Aristote et des Évangiles, où l’on n’aurait su dire qui était Dieu d’Aristote ou de Jésus. Au reste, il ne faut pas admirer sans réflexion une telle capacité de travail. Les forces de l’homme, à toutes les époques, sont mesurées à sa tâche. Or, du temps de Mélancthon, on avait tout à faire et une foi en proportion de l’œuvre. La première moitié du XVIe siècle fut la période héroïque des temps modernes. Les travaux de l’esprit y sont les travaux d’Hercule.

Si Mélancthon eût été libre de choisir, nul doute que des deux tâches religieuse et littéraire qu’eurent à remplir les hommes du XVIe siècle, il n’eût pris la seconde. Il n’avait ni le caractère ni le genre d’esprit qui conviennent à un réformateur religieux. Trop de doute, et, pour toute passion, des impatiences passagères contre les idées plutôt que contre les hommes ; aucun amour du bruit, le dégoût de la multitude à laquelle il ne pardonnait pas sa foi brutale et aveugle à la merci de tous les sophismes ; un talent pratique, méthodique ; un esprit net, positif, s’agitant moins pour dominer que pour obéir, tels étaient les traits particuliers du caractère de Mélancthon. Mélancthon aurait fait comme les grands érudits de l’Italie, comme Bembo, comme le Pogge, comme Marcile Ficin. Il aurait édité les anciens : c’était la première gloire après celle des grands poètes. Avant Luther, le choix était possible ; après Luther, il fallait être, ou avec lui, ou contre lui. Mélancthon n’essaya pas de se soustraire à la destinée commune, et même, à un certain degré, le goût lui vint en même temps que le devoir, mais il laissa plus d’une fois échapper des plaintes, et l’aigreur des disputes théologiques lui fit regretter souvent les pacifiques conférences de cette académie platonicienne de Florence, où ne disputaient que des esprits d’élite, présidés par un prince magnifique.

Ce fut après moins d’un an de séjour à Wittemberg, qu’il commença de sentir l’influence de Luther. La mort de l’empereur Maximilien[1] venait de délivrer celui-ci de ses craintes. N’ayant plus à faire qu’au pape, il avait relevé la tête. Il ne songeait plus à s’exiler. Le vicariat de l’empire, confié, pendant l’interrègne, à son protecteur l’électeur de Saxe, faisait de Luther comme le chef religieux de l’Allemagne. La réforme, un moment suspendue par la crainte d’un accord entre le pape et l’empereur Maximilien, recommençait sa marche. La chaire

  1. Arrivée le 17 janvier 1519.