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UNE RUELLE POÉTIQUE.

Et pourquoi faire fi de son plaisir ? Un vieil ami que j’ai dans le canton de Vaud, vrai connaisseur en poésie, un homme qui a vu André Chénier en 89, et qui faisait alors lui-même, à Paris, un journal très en vogue, qui depuis s’est enfermé dans les vieux livres, et qui sait son La Fontaine mieux qu’éditeur au monde, M. Cassat, me disait : « Quand j’ai lu Théocrite, je lis encore Fontenelle ; je préfère l’un, mais je sais passer à l’autre. Je chausse alors un autre bonnet de nuit, et je jouis d’une autre oreille. »

Ce serait trop demander pourtant au lecteur d’aujourd’hui que de me suivre en détail près de chaque poète de cette famille, de cette coterie. On aime à retrouver tout un monde dans un fraisier ; mais il ne faut pas que le fraisier soit trop desséché ni mort. La plupart d’entre eux, d’ailleurs, reviennent de droit à notre ami M. Chasles, à titre de victimes de Boileau. Il est un nom célèbre qui va me suffire à résumer, à développer mon aperçu ; je m’en tiendrai à Mme Des Houlières.

Malgré ses injustices contre Racine, malgré l’inimitié de Boileau et les allusions vengeresses du satirique peu galant, elle a survécu ; elle a joui long-temps de la première place parmi les femmes poètes, et ce n’est que devant un goût plus nouveau et dédaigneux que sa renommée est venue mourir. On s’est impatienté à la fin contre ses petits moutons toujours ramenés ; on avait commencé par les lui contester, et l’accuser sérieusement de les avoir dérobés ailleurs ; mais il a suffi, sans tant y prendre garde, de les lui attribuer, pour la faire paraître insipide. Elle vaut, elle valait beaucoup mieux que sa réputation aujourd’hui.

Quand on lit un choix bien fait de ses vers, desquels il faut retrancher absolument et ignorer tant de fadaises de société sur sa chatte et sur son chien, on est frappé chez elle de qualités autres encore que celles qu’on lui accordait jadis. Elle semble plus moraliste qu’il ne convient à une bergère ; il y a des pensées sous ses rubans et ses fleurs. Elle est un digne contemporain de M. de La Rochefoucauld ; on s’aperçoit qu’elle savait le fond des choses de la vie, qu’elle avait un esprit très ami du vrai, du positif même ; on ne s’en serait pas douté, à lui en voir souvent si peu dans l’expression. Mais ces contraires se concilient. On s’appelle Iris ou Climène, ou de nos jours de quelque nom à la Médora : la nature retrouve son compte là-dessous.

Mme Des Houlières, n’étant encore que Mme de La Garde, eut pour maître Hesnault, et Bayle prétend qu’on s’en aperçoit bien. Il paraît qu’Hesnault fut un peu amoureux d’elle, comme Ménage de Mme de