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notre père est mort[1]. » L’oraison funèbre qu’il prononça quelques jours après est pleine de ses véritables sentimens. Une admiration profonde, point de doute sur le caractère divin de la mission de Luther, dont il explique les rudesses même et les inégalités par les prophéties ; beaucoup de soumission ; quelques remarques indulgentes, mais justes, sur sa vivacité et sa dureté ; une appréciation sûre et élevée de ses qualités de caractère et d’esprit, de sa force, de son savoir, de ses travaux, des points fondamentaux de sa réforme ; rien sur lui-même, et, s’il était convenable de parler du talent littéraire, une proportion, un goût, une richesse et un naturel de diction, qu’on ne devait attendre ni de son temps ni d’un auteur écrivant dans une langue morte ; telle est cette oraison funèbre où Mélancthon se plaçait au-dessus de toutes les insinuations et de toutes les calomnies, et gardait la vérité de son caractère avec Luther mort, comme avec Luther vivant.

La mort de Luther privait la réforme de son chef, l’église nouvelle de son gouvernement. Mélancthon aurait pu s’en réjouir, en effet, comme l’en accusaient ses ennemis, s’il s’était cru de force à remplacer Luther ; mais il aimait mieux être le premier sujet de ce Périclès, comme il l’appelait, que d’être son successeur. Leurs rôles avaient été distincts, quoique chacun d’eux eût occupé le premier dans son rang. Luther marchait en tête, retenant ou poussant toutes choses, avec l’autorité qu’on lui supposait d’en haut. Mélancthon enfermait les dogmes nouveaux dans les limites de la méthode. L’un fondait et l’autre enseignait. Mais, le premier mort, l’autre était insuffisant pour prendre sa place, et ce n’est pas un des moindres mérites de Mélancthon de l’avoir compris, et de n’avoir pas voulu prendre le commandement qui s’offrait à lui comme au premier après Luther.

Il avait voulu long-temps un grand débat, à la manière des conciles de l’ancienne église, entre hommes de savoir, d’autorité et de bonne foi. Ce débat terminé, il se fût reposé dans sa religion épurée, et, après avoir mis sa conscience en paix, il aurait continué ses travaux littéraires. Il n’avait aucune passion ni pour le commandement comme Luther, ni pour la dispute comme les scolastiques, et il manquait de la grandeur comme des petitesses de l’ambition. S’il ne s’empara pas du gouvernement après la mort de Luther, il n’empê-

  1. Unser vater, unser vater is todt.