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MÉLANCTHON.

Sabinus, soupçonné, non sans motif, d’avoir suggéré à Lemnius les principaux traits. On parlait d’une enquête, et les amis de Mélancthon lui conseillaient de quitter Wittemberg. Il resta, se défendant à sa manière, qui était d’opposer la patience à toutes ces inimitiés, dont le fonds était la religion, et qui prenaient occasion des moindres incidens. Pendant qu’on s’agitait pour le perdre, il donnait une édition de la Germanie de Tacite.

XI. — LES DIÈTES. — POLITIQUE DU PAPE, DE CHARLES-QUINT ET DES PROTESTANS, AU SUJET DU CONCILE DE TRENTE.

Vers le mois de novembre, Mélancthon étant dans sa quarante-unième année, se crut près de sa fin et fit son testament. Ses pressentimens ne l’avaient pas trompé. Comme il se rendait à Haguenau, à une assemblée des princes, il tomba malade à Weimar, et faillit mourir. Luther, qui vint lui donner des soins, le trouva plus malade encore d’esprit que de corps. La bigamie du landgrave de Hesse l’avait jeté dans une sorte de désespoir. Il n’avait pu voir sans une douleur infinie la cause de la réforme déshonorée dans la personne du plus considérable et du plus habile de ses défenseurs. Quant à Luther, il en avait pris son parti. Outre sa propre conduite, qui le rendait très tolérant sur ce point, il lui importait peu que le landgrave fût bigame, pourvu qu’il demeurât ferme dans la foi. Il essaya de relever Mélancthon, tâchant de lui faire comprendre cette morale particulière des hommes d’action, qui compense les fautes personnelles par le dévouement à la cause commune.

À peine rétabli, Mélancthon reçut l’ordre de partir pour Smalcalde, où s’était ajournée l’assemblée de Haguenau. De Smalcalde, où les princes ne s’arrêtèrent qu’un moment, l’assemblée fut transférée à Spire, puis de Spire à Worms, pour être prorogée de nouveau à Ratisbonne. « Nous avons vécu dans les synodes, disait Mélancthon, et nous y mourrons. »

L’empereur et le pape, jusque-là d’accord pour étouffer les protestans, s’étaient peu à peu séparés, selon les intérêts de leur politique. L’empereur avait demandé de bonne foi un concile, et en avait arraché plutôt qu’obtenu la promesse. Le pape, qui s’y était résigné à regret, ne voulait ni retirer ni tenir sa parole. Il eût mieux aimé se servir de l’empereur pour opprimer les protestans et faire trancher l’hérésie par le bras séculier ; mais il n’était pas dans les plans de Charles-Quint de se faire l’instrument du pape, le parti protestant