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la doctrine, d’adhérer de nouveau à la confession d’Augsbourg, avec l’annexe sur le pape et les évêques. Tous les théologiens y souscrivirent, sauf Luther, apparemment trop malade pour signer en connaissance de cause. Quant aux princes, ils décidèrent que la proposition de Paul III serait rejetée, et l’empereur supplié d’obtenir un concile libre, général, dont le siége fût en Allemagne. Ce n’était pas l’opinion de Mélancthon. Il voulait qu’on acceptât le concile du pape, qui avait, selon lui, le droit de le convoquer, sinon d’y exercer le rôle de juge, lequel devait être confié à des arbitres pris dans les deux partis. Il n’en eut pas moins à rédiger toutes les pièces relatives à ce refus, à en exposer les causes aux adhérens, et à le notifier à l’empereur au nom des princes. Ce ne fut pas sans débats. « Il n’y a pas place auprès des princes, écrit-il à Théodorus, pour notre philosophie. Je leur ai pourtant obéi, cette fois encore, comme aux vents et à la tempête, parce que je ne pouvais pas m’arracher de là sans scandale. » Dans le trouble où le jetait cet étrange rôle, il regrettait de n’être pas à la place de Luther, retenu chez lui par une fièvre mortelle.

À peine de retour à Wittemberg, où il avait accompagné Luther convalescent, il y trouva, outre les restes de la querelle de Cordatus, une nouvelle émeute soulevée par Jacques Schenk, de Fribourg, qui l’accusait auprès de l’électeur de paroles indiscrètes sur l’eucharistie, et par ce même Islebius Agricola, qui recommençait ses nouveautés, et niait que le décalogue dût être enseigné dans l’église. Or, c’était nier indirectement la nécessité des bonnes œuvres dans la justification, le décalogue n’étant que la partie de la loi qui les détermine et les prescrit.

Luther se laissait renvoyer les accusations, comme au juge suprême, et accueillait les plaintes. Il lui échappa, cette fois, les mots de peste violente, de médiateurs érasmiques, à propos de Mélancthon et de Cruciger ; et, s’il ne rompit avec eux, il ne voulut pas les entendre, quoique sa femme, qui aimait Mélancthon, l’en priât avec instance. Il n’arrêta pas les poursuites de Jacques Schenk, et laissa les choses en venir à ce point, que Mélancthon reçut jour de l’électeur pour s’expliquer sur la dénonciation dont il était l’objet. Il put se croire sérieusement menacé d’une destitution, et dans sa douleur, noblement supportée, il se comparait à Eschine écrivant à un ami qu’il se réjouit d’être délivré de l’administration de la république, comme d’une chienne enragée.

On ne lui avait pas fait savoir sur quoi porterait l’interrogatoire.