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MÉLANCTHON.

apprennent autant que l’Évangile. Il s’imprimait, en effet, des livres où l’on comparait les paroles du Christ avec celles de Socrate et de Zénon, et où on le disait venu dans le monde, moins pour nous obtenir la justification par ses propres mérites que pour nous apprendre par quelles actions et par quel accroissement de notre dignité personnelle nous la pouvons obtenir.

Il est intéressant de lire de quels artifices honnêtes Mélancthon s’est servi, dans ses nombreux écrits sur cette matière, pour demeurer dans la justice imputative, loin des excès des anabaptistes, et pour faire la part des œuvres, sans pencher vers les catholiques ni vers les demi-païens. Luther n’avait pas pris tant de peine ; une fois le dogme de la justification par la foi proclamé, il ne s’était pas soucié de le concilier avec les œuvres, et s’était reposé dans la joie de son invention ; ou bien, lorsque les évènemens l’en avaient pressé, il avait, selon le besoin de sa politique ou de son orgueil, tantôt abondé dans son premier sens, tantôt fait à la doctrine des œuvres des concessions inattendues, peu calculées, et comme avec la pensée de les retirer dans l’occasion. Pour Mélancthon qui, dès le commencement, avait voulu faire des dogmes du maître des règles pour sa propre conduite, ce partage impossible l’avait toujours agité. Il sentait la nécessité de ne pas séparer la foi des œuvres ; mais voulant, à l’exemple de Luther, une part absolue pour la foi, et seulement une part relative pour les œuvres, il n’arrivait pas à concilier deux choses inégalement nécessaires, et voyait bien que, dans la pratique, celle qui serait la moins nécessaire serait bientôt rejetée comme inutile.

Il serait malaisé de déterminer, sous la forme d’un dogme quelconque, en quoi il différait de Luther. C’était moins une opinion décidée que des scrupules enveloppés de ténèbres qu’il ne pouvait ou n’osait dissiper. Mais telle était, dans le parti, l’autorité de sa conscience, que ces scrupules même formaient, sur ce point de doctrine, comme une école nouvelle, quoiqu’il n’y eût véritablement pas de dogme nouveau.

Cruciger, ainsi que je l’ai dit, enseignait à l’académie de Wittemberg ces légères nuances ou plutôt ces incertitudes de Mélancthon. Ses leçons, qui avaient été recueillies et publiées, émurent un certain Cordatus, pasteur de Nimeck, qui, s’ennuyant d’un si petit théâtre, voulut se faire voir sur celui de Wittemberg. Il avait été l’un des élèves de Mélancthon. C’était un de ces hommes sans lumières, qui ont une sorte de bonne foi sourde et intraitable, et qui se passionnent jusqu’au fanatisme pour le peu qu’ils entrevoient. Quoique jeune et