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MÉLANCTHON.

d’une guerre pour la défense de la religion. Luther, quoique préférant la paix, se laissait entraîner aux idées de guerre, et, comme en toutes ses actions principales, là où l’esprit l’avait fait hésiter, la chair le décidait. Pour Mélancthon, il ne voulut d’abord la guerre à aucun prix ; mais, soit contagion, tout le monde s’y préparant autour de lui, soit qu’il crût que les préparatifs même l’empêcheraient d’éclater, il finit par déclarer qu’il n’en désapprouvait pas la pensée, et qu’il fallait se tenir prêt pour se faire respecter.

Je ne m’étonnerais pas que l’esprit de guerre ne l’eût gagné lui-même. Tant de fatigues de corps et d’esprit pour concilier les deux partis à Augsbourg, sa considération inutilement sacrifiée à la paix, la perte ou l’affaiblissement de ses amitiés, les attaques qui l’attendaient, pour avoir livré des points que les adversaires n’avaient même pas daigné prendre, tant d’efforts perdus et de dangers amassés pour l’avenir avaient dû le disposer à l’idée d’une lutte ouverte. « Puisque les catholiques, écrit-il à Brentius, n’ont pas voulu de moi pour pacificateur, et qu’ils aiment mieux m’avoir pour ennemi, je ferai ce qu’exige la circonstance, et je défendrai notre cause fidèlement[1]. »

Les théologiens de Charles-Quint ne lui conseillaient pas la guerre. Il suffisait, dans leur opinion, que l’empereur fit exécuter les décrets. « Il ne faut pas faire la guerre, criait Cochléus, il faut sévir par les lois et les jugemens. S’ils n’entendent pas les paroles, eh bien ! qu’ils entendent le bruit des chaînes et des fouets, qu’ils goûtent des horreurs de la prison jusqu’à ce qu’ils reviennent à la vérité[2]. » Si Charles-Quint n’écouta pas ses théologiens et Cochléus en particulier, c’est qu’il savait que faire exécuter les décrets, c’était déclarer la guerre. Il se décida par la politique, comme il avait fait d’ailleurs jusqu’alors. La Suisse était en feu, les Turcs menaçaient d’envahir la Hongrie ; valait-il mieux faire la guerre aux Turcs, avec l’Allemagne protestante et catholique, réunies sous le drapeau commun de l’empire, que la faire en même temps aux Turcs et à l’Allemagne protestante ? Charles-Quint ne consulta pas Cochléus, et se décida pour le premier parti. Il acheta, par la trêve de Nuremberg (1532) et par le retrait des édits de Worms et d’Augsbourg, les secours des protestans, et le seul bruit de l’union de l’Allemagne et de l’empereur dissipa les projets des Turcs. Dans le même temps, la guerre avait

  1. Corp. ref., tom. II.
  2. Philippiques de Cochléus, IV, 72.