Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 20.djvu/171

Cette page a été validée par deux contributeurs.
167
MÉLANCTHON.

historien n’a contredit, il est vraisemblable que sur la fin de la diète, épuisé par tant de vicissitudes, il dut s’irriter et s’endurcir. Comme tous les hommes chez qui la fermeté vient de l’intelligence plutôt que du caractère, et est moins une habitude qu’un devoir, Mélancthon put laisser voir de l’impatience, et blesser d’autant plus par son obstination qu’on en attendait moins de lui. Peut-être aussi laissa-t-il voir qu’il n’ignorait pas quel poids lui donnaient ses lumières et cette facilité de travail si nécessaire dans des négociations précipitées. S’il était suspect à tous, tous avaient besoin de lui. Les catholiques le recherchaient directement ou par des intermédiaires. Cochléus, théologien considérable dans ce parti, lui demandait des entrevues, soit à son auberge, soit dans une église, et en revenait radouci, dit Brentius, jusqu’à supporter la vue d’un prêtre marié. Les chefs des sacramentaires de Strasbourg, Bucer et Capiton, offraient de se donner à lui, moitié pour lui, moitié rejetés vers les églises saxonnes par la peur de paraître complices des extravagances de Zwingle. Le landgrave lui-même ne refusait pas sa médiation. Enfin, Luther, tout en s’agitant à Cobourg contre ce qu’il appelait la molle délicatesse de Mélancthon, n’en cédait pas moins à son ascendant. C’est d’accord avec Luther qu’il avait proposé de rendre aux évêques la juridiction ecclésiastique. Or, de toutes les concessions reprochées à Mélancthon, celle-là était de beaucoup la plus importante, car elle restituait aux évêques un pouvoir par lequel ils avaient la chance de regagner tout ce qui leur était enlevé du côté du dogme.

On disait aux catholiques : Accordez-nous la doctrine, et nous vous rendrons la juridiction épiscopale. Ils refusèrent l’échange. Les partis qui sont sur la défensive ont une sagacité qui manque aux partis assaillans. La concession était si considérable, que par le prix que les réformés mettaient au libre usage de la doctrine, les catholiques apprécièrent mieux tout ce qu’ils perdraient en y consentant. Ils se défiaient également de ces offres, soit qu’elles fussent sincères, soit qu’il s’y mêlât des arrière-pensées. Le seul qui les fît de bonne foi, était Mélancthon ; car encore qu’il fût attaché de cœur à la plupart des nouveaux dogmes, il lui paraissait bien plus pressant de discipliner que de propager la réforme. Il voulait la juridiction des évêques comme contre-poids à la licence des nouveautés religieuses. Pour Luther, il s’y résignait, ainsi que l’électeur de Saxe, comme à un attermoiement qui ôterait à l’empereur toute raison plausible d’employer la force, et ne gênerait pas les progrès du parti. Brentius, l’un des collègues de Mélancthon, qui, du reste, opinait tou-