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MÉLANCTHON.

mettre un très petit nombre de changemens, que, le voulussions-nous, nous ne pourrions empêcher… Nous n’avons attiré sur nous tant de haines que parce que nous défendons avec constance les doctrines de l’église romaine. Cette foi en Christ et dans l’église romaine, nous y persévérerons, s’il plaît à Dieu, jusqu’au dernier soupir, dussiez-vous ne pas nous recevoir en grace. »

On regrette d’avoir à remarquer dans cette lettre la substitution du terme trop souvent répété d’église romaine à celui d’église catholique, dont se sert la lettre officielle. On y peut blâmer aussi quelque affectation, soit à protester d’une obéissance dont Mélancthon savait bien ne pouvoir répondre, soit à réduire et à rapetisser les changemens introduits par la réforme. Ce fut une erreur de conduite dans un moment de découragement plutôt qu’une lâcheté intéressée. Cette fois encore Mélancthon s’immolait à la cause commune ; mais un sacrifice inutile est une faute.

Pendant cette lutte, dont il suivait tous les incidens, Luther, enfermé à Cobourg, priait avec une ardeur effrayante. « Je prierai et je pleurerai, écrit-il, jusqu’à ce que je sache que mes cris ont été entendus dans le ciel. » Et ailleurs, à Spalatin : « Quant à moi, qui suis un ermite et comme une terre sans eau, il ne peut rien germer en moi qui soit digne de vous être écrit, si ce n’est que, par mes gémissemens et mes soupirs, et par toutes les forces du geste et du discours, je monte dans le ciel, et je frappe, quoique indigne, aux portes de celui qui a dit : Il sera ouvert à celui qui frappe[1]. »

Dans une lettre à Mélancthon, Vitus raconte des choses étranges de l’audace et de la confiance de ces prières. Je le laisse parler. « Il ne s’écoule pas un jour, dit-il, dont Luther ne passe en oraison au moins trois des heures les plus favorables à l’étude. Il m’est arrivé une fois de l’entendre prier ainsi. Bon Dieu ! quelle spiritualité, quelle foi dans ses paroles ! Les demandes sont si respectueuses, qu’on voit bien qu’il parle à Dieu ; elles sont si pleines d’espoir et de confiance, qu’il semble qu’il parle à un père et à un ami. « Je sais, disait-il, que tu es notre père et notre Dieu ; je suis donc assuré que tu perdras les persécuteurs de tes enfans. Que si tu ne le fais, ton péril est lié au nôtre. Tu nous défendras donc. » J’étais debout, à quelque distance, l’entendant prier à peu près en ces termes, et je me sentais moi-même transporté d’un mouvement étrange, pendant qu’il s’entretenait ainsi avec Dieu, d’un ton si amical, si grave, si respectueux, et

  1. Lettres de Luther.