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Pendant ces difficultés subsidiaires, Mélancthon était appliqué sans relâche à l’œuvre principale, qui était la confession du parti. Il y avait à pourvoir à deux choses à la fois : accommoder la rédaction aux opinions de tous ses coreligionnaires, et négocier pour que Charles-Quint en permît la lecture. C’est dans ce dernier but qu’il s’était rapproché de quelques-uns des secrétaires espagnols de l’empereur, et en particulier de Valdésius, qui avait du crédit. Les choses étaient allées assez loin pour qu’il crût pouvoir proposer de substituer à une lecture publique de simples communications à César, par l’entremise de son secrétaire. L’électeur, son maître, décida que la confession serait lue comme elle avait été dressée. Mélancthon, qui voulait la paix, y retouchait sans cesse, le plus souvent d’accord avec ses coreligionnaires, lesquels lui reprochaient ensuite ce qu’ils s’étaient laissé arracher, quelquefois de son propre mouvement, dans certains détails où l’âpreté de l’expression aurait pu effaroucher les adversaires. « J’y aurais fait bien plus de changemens, écrivait-il à Camérarius, si nos amis me l’eussent permis ; car, bien loin que je pense que l’écrit soit plus doux qu’il ne convient, j’ai grand’peur qu’on ne s’offense de notre liberté[1]. »

Sa tâche était d’autant plus difficile, que Luther, en cessant tout à coup de lui écrire, avait paru désavouer tout ce qui se faisait à Augsbourg. Cette brusque interruption avait eu de l’éclat. Mélancthon s’en plaignit avec douceur et humilité ; mais Luther ne voulut pas même recevoir ses lettres. Il fallut qu’il priât Théodorus Vitus, leur ami commun, resté près de Luther, de les lui lire malgré lui, et il les envoyait décachetées, afin que Vitus en prît d’abord connaissance et s’assurât qu’elles étaient assez humbles pour apaiser l’impérieux docteur. Une fois il lui en fit porter une par un messager à ses frais. « Vous savez, lui écrivait-il, les dangers que nous courons tous, et combien nous avons besoin de vos conseils et de vos consolations. On ne fait rien que par vos directions : quel sera notre péril si vous nous abandonnez ? » La raison de Luther était que Mélancthon ne lui écrivait pas assez souvent. C’était trop peu pour lui d’une lettre par semaine ; il voulait qu’on fût de son avis, et qu’on ne fît pas un pas en avant sans l’en avertir. Ajoutez-y un peu de jalousie de n’être pas présent aux décisions, et de ce qu’il fallait en prendre fréquemment qui ne laissaient pas le temps de le consulter, et peut-être quelque souci secret de l’importance croissante de Mélancthon, qui, quoique n’ayant aucune prétention à être le chef du parti, parut, en certaines occa-

  1. Corp. ref., tom. II, no 740.