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pas vu que Perrault avait pris le type de l’ogre du Petit-Poucet dans un baron du moyen-âge, et il a eu le plus grand tort de ne pas tailler tous les féodaux sur le patron du sanglier des Ardennes dans Quentin Durward. Quant au varlet, il est bien évident qu’il ne peut pas causer, il devise et apprend les déduits des armures.

Ce moyen-âge était un temps bien heureux ; tous les navires avaient mille rames ; les robes des châtelaines se déroulaient en longs plis comme celles des antiques druidesses ; les évêques, gantés de soie, avaient toujours en main la crosse d’or et l’anneau pastoral, soit, sans doute, qu’ils visitassent les abbayes aux tours carrées ou les moutiers, soit qu’ils fissent partie de la procession qui serpentait comme une rivière d’or et de rubis, soit qu’ils écoutassent la cloche sonner à pleines volées le glas des trépassés, soit enfin qu’ils vinssent s’agenouiller au tombeau froid des chevaliers. Puis venaient les contrastes : les pélerins à la trogne rouge buvant le vin du Rhin, les Francs qui ne voulaient pas dormir sur les lits mollets, les concubines au teint rose, aux vêtemens écourtés, et aussi les solitaires qui se levaient de leurs grabats pour prier, quand minuit sonnait, et pour voir les cieux scintiller des feux qui filaient à l’horizon rougi. De cette scintillation des étoiles, de ces feux follets du Xe siècle, on est en droit de déduire cette haute conséquence, que rien n’est changé dans la nature ; j’allais cependant oublier ces voix étranges et marmottantes, ces nuées sanguinolentes, et surtout ce crêpe de douleur, qui mettent tout-à-fait à part l’époque de Hugues Capet. Si on ajoute à ces merveilles les épopées d’or, les mantels d’hermine, les prouesses des féodaux, l’empereur d’Allemagne, je voulais dire la boule d’or de l’Empire, les viviers empoissonnés, les collines désertes ombragées de sapins, on sera bien convaincu que l’histoire de la troisième race, avant Philippe-Auguste, était complètement inconnue, comme le dit M. Capefigue. En effet, la Gaule poétique de Marchangy est très loin d’être à cette hauteur, et, pour trouver d’aussi fantastiques couleurs, il faudrait recourir à Anne Radcliff. M. Capefigue a de plus l’avantage d’une étude consciencieuse des chroniques et des épopées merveilleuses du moyen-âge ; il a éprouvé de vifs serremens de cœur en lisant la chartre qui tombe en lambeaux dans les archives, en racontant ce que lui avaient dit les saints moines et les chevaliers dans leurs parchemins scellés. On voit que M. Capefigue a fait des découvertes de la plus haute importance. Pourquoi ne cite-t-il pas une seule fois ces textes originaux, ces chartes du Xe siècle, qu’on ne savait pas inédites et qu’on a cru jusqu’ici fort rares ? Mabillon ne les avait pas soupçonnées, et voilà, du coup, tous les traités de diplomatique incomplets.

Est-ce dans les belles chartes scellées que M. Capefigue a puisé les précieux et caractéristiques récits qu’il nous donne ? Est-ce là qu’il a vu « ces villes aux couleurs bleues, aux murailles de saphirs et d’escarboucles brillantes de mille feux, qui se produisent dans des nuages de pourpre, quand l’esprit se plonge dans les ravissemens de la contemplation ? » Nous sommes aux Mille et une nuits ; aussi les contes ne manquent pas. Veut-on celui de la naissance de Hugues Capet ? Vous voyez d’abord la neige tomber à gros flocons sur la mon-