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tout ce qui nous ruine, pas de tout ce que nos besoins de luxe imposent à nos armateurs de navires ! Mais aussi de bons résultats, de l’argent gagné, et chez nous presque toujours de l’argent perdu ! Vous savez maintenant pourquoi le personnel et le matériel de notre marine marchande diminuent chaque jour, et pourquoi on lance jusqu’à deux, trois et quatre navires par dimanche à Syra !

Quand la marine marchande grecque se mit à faire la guerre, elle abandonna le commerce, et de même qu’elle avait, à l’époque de notre révolution, comblé le vide produit dans le mouvement commercial de l’Orient par la retraite de nos navires, de même il s’éleva trois marines marchandes nouvelles, qui vinrent combler le vide causé par l’armement en guerre des navires hydriotes, spetziotes et ipsariotes ; ce sont les marines dalmate, sarde et napolitaine. Mais, après la guerre, les Grecs, retrouvant leur esprit d’association, leur activité, leur intelligence, ont prouvé qu’il y avait place pour quatre, et je suis convaincu qu’il y aurait place pour cinq, si l’on songeait à doter la France d’une marine à bon marché.

Je ne veux pas dire que jamais on ne se soit occupé d’une question si importante ; mais, par la raison que l’administration des douanes, placée dans les attributions du ministère des finances, a perdu une grande partie de sa qualité d’administration protectrice, pour devenir une administration purement fiscale, la marine marchande, placée exclusivement dans les attributions du ministre de la marine, n’a jamais été considérée que comme un moyen de recruter la marine militaire. Il résulte de là, pour nous, une condition d’infériorité dans la Méditerranée, dont je vais essayer de donner une idée par des comparaisons.

La France, ayant sur ses côtes méridionales une population maritime qui n’est pas plus considérable que la population maritime des côtes de l’empire d’Autriche et du royaume de Sardaigne, et qui l’est beaucoup moins que celle du royaume de Naples, est obligée, par sa qualité de première puissance navale, d’entretenir des armemens nombreux. L’Autriche, la Sardaigne et Naples, au contraire, n’ont jamais à la mer plus de cinq ou six navires, dont les plus forts sont des frégates. Mille à quinze cents hommes au plus, voilà tout ce qu’il faut à chacune de ces puissances. Trois à quatre mille hommes peut-être, voilà ce que nos escadres demandent, en temps ordinaire, à la population de nos côtes de Provence, de Languedoc et de Roussillon !

De là résulte une pénurie de matelots pour le commerce français, quand il y a abondance de bras libres du service militaire chez les autres. De là vient que dans nos ports un matelot se paie jusqu’à 50 francs par mois, tandis qu’à Gênes, à Naples et en Dalmatie, on le paie 30 francs tout au plus. De là vient aussi que, lorsque nous faisons des expéditions comme celle d’Alger en 1830, les transports étrangers se louent à notre gouvernement moyennant 13 francs par mois et par tonneau, et que les navires français réclament 16 et 17 francs. De là vient, enfin, qu’après avoir établi en Afrique des droits proportionnels à l’effet de favoriser la marine nationale, le gouvernement, frappé bientôt de