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LA MARINE MARCHANDE GRECQUE.

Mais ce personnel maritime formé, que pouvaient les Grecs insulaires en présence du commerce si actif qu’avaient fini par faire les Français ? Pouvaient-ils songer à élever seulement la plus faible concurrence ? Ils avaient des matelots, mais ils n’avaient pas de navires, et pas de bois pour en construire. Ils avaient de l’ardeur, mais l’argent manquait.

Bientôt, cependant, la révolution française mit l’Europe en feu. Tout le commerce de Marseille fut ruiné. Les Français, trop occupés de leurs débats, s’entr’égorgeant les uns les autres, délaissèrent la culture des champs ; les intempéries des saisons aggravèrent la position de leur pays si fertile ; ils demandèrent du blé à tout l’univers, mais l’univers s’était ligué contre eux, à l’exception seulement des régences barbaresques qui voyaient peu d’inconvénient à pactiser avec la convention, des États-Unis qui comprenaient déjà tout ce qu’a d’avantageux la neutralité commerciale, et enfin de la Turquie, pays où l’exécution d’un roi devait exciter moins d’horreur que partout ailleurs. Cependant la Turquie fut plus tard (en 1798) entraînée dans une guerre contre la France.

Il y avait donc un grand vide commercial à combler, puisque Marseille et ses navires ne fréquentaient plus les mers du Levant. À Hydra, à Myconi, à Andros, à Santorin, à Spetzia, on groupa de petites sommes ; les Sciotes qui avaient des capitaux cherchèrent des marins pour utiliser leur argent, et les Ipsariotes se présentèrent. On construisit tant bien que mal des navires qui allèrent prendre du blé, soit dans les ports de la Méditerranée, soit dans les ports de la mer Noire, et qui le portèrent, selon les temps et selon les circonstances, à Livourne, à Marseille, ou à Gênes, malgré les escadres et les blocus. On doublait, on triplait les capitaux dans un voyage, et, au retour, avec l’argent gagné on construisait de nouveaux navires qui, comme les vaisseaux des anciens Grecs se rendant au siége de Troie, naviguaient sans cartes, sans boussole, soit parce que les capitaines ne savaient pas s’en servir, soit parce qu’on n’avait pas eu le temps de s’en procurer.

Les disettes de 1812 et de 1816 redoublèrent l’ardeur des marins grecs, et portèrent la richesse et la prospérité des îles à ce point que, lors de l’insurrection, Hydra, Ipsara et Spetzia comptaient plus de trois cents navires marchands, qui, tous, devinrent des navires de guerre, et soutinrent contre les escadres turques cette lutte où Miaulis s’illustra à jamais, et où Canaris acquit une gloire que la fin de sa vie fera, peut-être, oublier aux Français.

L’équipage d’un navire grec se compose de personnes de la même famille ; le père est capitaine, les jeunes gens sont matelots ou novices, les enfans sont mousses. Chacun a sa part dans les bénéfices, suivant son âge et suivant son rang. C’est, en quelque sorte, la maison qui voyage et qui se porte tantôt ici tantôt là. Les femmes seules restent au logis pour avoir soin du ménage et allaiter les derniers nés.

Cette manière de voyager nous explique la facilité avec laquelle des familles, des populations entières se transportent quelquefois d’une île dans une autre, ou d’une île sur le continent. Syra offre-t-elle, comme durant la guerre