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LES MARBRES D’ÉGINE.

brille, il est vrai, une certaine grace particulière ; elle n’a rien d’efféminé, comme celle que les successeurs de Phidias poursuivirent. Dans sa maigreur, elle conserve quelque chose de sévère qui plaît comme la rigidité mélancolique des peintures du XIVe et du XVe siècle ; mais cette grace dorienne ne constitue point la véritable beauté.

Il était réservé à un sculpteur athénien, à Phidias, de faire subir à l’art réaliste des Doriens la transformation qui devait enfin produire le type complet de l’art grec. Athènes avait plus qu’Égine le sentiment du beau, parce qu’elle avait un plus juste sentiment de l’infini, c’est-à-dire une tradition plus entière de l’Orient et de l’Égypte ; aussi fut-elle destinée à ajouter à l’imitation qui distinguait les ouvrages de sa rivale l’idéal qui leur manquait, et à rappeler leurs mouvemens divergens à une plus harmonieuse unité. C’est Phidias qui opéra cette grande révolution, semblable, sous bien des rapports, à celle que Raphaël accomplit parmi les modernes. Il fit descendre l’infini de l’Orient dans le fini du monde grec. Prêtre, au nom de son génie personnel, dans un temps où la religion était défaillante, il ne vécut que pour créer de nouveaux types divins, dans lesquels il mêla au naturalisme des athlètes doriens une majesté qui le consacra ; il fondit ainsi en un seul résultat les deux élémens qui avaient jusqu’alors coexisté dans la sculpture. Il ne fit, on le sait, qu’une seule figure individuelle, celle de cet enfant dont il écrivit le nom (Παντάρκης καλός) sur le petit doigt du Jupiter olympien, comme pour profaner lui-même le dieu qu’il avait su rendre sublime sans croire à sa divinité. Ayant fait les plus belles images religieuses que le polythéisme ait connues, il put passer aux yeux de ses contemporains et de la postérité pour un contempteur de la religion dont il ne respectait sans doute ni la sainteté ni les anciens symboles ; mais sa mission s’étendait au-delà du cercle borné d’une mythologie transitoire, et s’il le franchissait sans tremblement, c’était pour dérober au ciel une notion plus parfaite de l’idéal humain. Aussi l’époque qui le suivit, et qu’il entraîna par son exemple, fut-elle l’époque des types, comme l’époque qui l’avait précédé, et dans laquelle il avait pris sa base, était celle de l’imitation. Alors les Doriens eux-mêmes, qui ne s’étaient appliqués jusque-là qu’à copier la nature, voulurent l’idéaliser ; mais, fidèles au caractère de leur race, tandis que Phidias réformait les types des dieux, ils composaient ceux des lutteurs qui leur avaient donné le sujet de leurs premières études. Ainsi, Polyclète et Myron, qui partagèrent avec Phidias les leçons d’Ageladas, et qui ressemblèrent plus que lui à leur maître, passent pour les créateurs de l’idéal des cycles gymnastiques et athlétiques.