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tistes à placer des figures convenues sur des corps imités, mais encore l’air bestial de ces visages. Winckelmann a reconnu dans plusieurs statues grecques l’imitation de certaines formes animales ; il a surtout remarqué que le taureau semble avoir servi de modèle à l’Hercule. Les animaux jouent, dans l’histoire de ce personnage, un rôle considérable, dont l’astronomie toute seule ne rend pas raison ; ils apparaissent, comme nous l’avons vu, dans les monnaies et dans les poteries d’Égine ; ils sont aussi un des principaux objets d’étude du sculpteur dorien Myron. On sait que chez les Étrusques la tête d’un Jupiter était formée par une mouche. Tous ces faits ne font-ils pas involontairement penser aux sphinx et aux anubis ? La nature animale avait une haute valeur symbolique dans tout l’Orient ; l’Égypte lui accorda une telle importance, qu’elle mit le plus souvent des têtes d’animaux sur les épaules de ses dieux. Il est naturel de croire que le fondateur de l’école d’Égine, Smilis, qui était antérieur à l’arrivée des Doriens dans le Péloponèse, aura commencé par se conformer à ces exemples ; c’est d’après les têtes bestiales façonnées par lui, que les artistes de la dernière époque de l’art éginétique auront sculpté ces visages, où il n’y a presque rien d’humain. Telle était leur manière de se rattacher aux traditions étrangères et sacrées de leur art.

Mais les corps des statues de la Glyptothèque, qui en sont évidemment la partie principale, attestent une autre origine ; ils sont le côté nouveau, indépendant, national, de l’art éginétique. Les têtes sont un ressouvenir de l’époque où la statuaire, entièrement bornée aux objets religieux, ne taillait que des idoles ; les corps font penser à un temps où l’esprit grec, s’affranchissant des chaînes sacerdotales, tourna toutes ses idées vers les luttes guerrières, et créa ces jeux renommés dont l’art, devenu dès-lors politique, fut chargé d’immortaliser les vainqueurs. Ainsi, dans les marbres d’Égine, on lit toute l’histoire des sources de l’art antique ; la période des dieux et celle des athlètes y sont écrites l’une à côté de l’autre de la manière la plus éclatante. Mais c’est évidemment la dernière qui est l’expression la plus nette du génie grec ; les artistes doriens qui sont les fidèles interprètes de ce système, et qui eurent la mission spéciale de copier les figures et les attitudes des lutteurs, firent de l’imitation et du mouvement les deux conditions fondamentales de la statuaire ; les marbres de la Glyptothèque nous la montrent parvenue à ce point. La physionomie des corps, leur animation, leur réalité, y sont admirables : voilà tout ce que le génie dorien, dans son époque extrême, pouvait faire pour la cause de l’art. Dans les statues du Panhellénion