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LES MARBRES D’ÉGINE.

probablement la lance, ayant de la barbe au menton, et sur sa figure, indépendamment de la rudesse que lui donnent les arêtes saillantes du style éginétique, une expression indubitable de vieillesse, a pris le nom de Télamon. Un autre guerrier, étendu, penché sur son bouclier, coiffé de son casque, nu aussi, portant la barbe et souriant en tombant, a reçu celui du roi troyen Laomédon. C’est Hercule qu’on a vu dans un sagittaire, agenouillé, bandant son arc comme faisaient les archers du fronton précédent, portant sur sa tête un casque qui a la forme d’une tête de loup assez semblable à celle du Penseroso de Michel-Ange, et qui rappelle les dépouilles sauvages dont le héros thébain avait coutume de se parer. La quatrième figure, qui est de toutes la plus digne d’admiration, est connue sous le nom de héros blessé ; elle est renversée sur le dos, couchée dans son bouclier où elle s’agite encore pour combattre et où sa main élevée en l’air brandissait sans doute une arme inutile. L’unité qui règne dans la divergence multipliée de ses lignes et l’harmonie qui naît sans efforts de l’agitation même de ses membres, devraient être longuement méditées par les artistes qui accusent, de nos jours, le repos absolu de l’art antique, et qui, en cherchant le mouvement, oublient de poursuivre la grace et la beauté.

Indépendamment de ces statues, et avec elles, on a trouvé à Égine deux statuettes qui donnent lieu aux plus curieuses dissertations ; elles sont en tout semblables l’une à l’autre, si ce n’est que leurs draperies sont combinées de manière à ce qu’elles se servent mutuellement de pendant. Toutes deux relèvent de la main leurs longues robes à plis symétriques et verticaux. M. Cockerell, qui a dessiné une restauration du temple de Jupiter Panhellénien, les a placées au sommet de l’angle extérieur du fronton, et il a supposé qu’elles y servaient d’accompagnement à l’αετος qui couronnait tous les ornemens du temple. Les savans allemands ont salué ces deux déesses du nom de Damia et d’Auxhesia. Voilà des divinités qu’on ne trouve guère dans les livres de mythologie répandus dans le public.

Ces deux déesses, dont Hérodote raconte l’histoire fort au long, avec une naïveté charmante, dans son cinquième livre, sont celles qu’Égine enleva à Épidaure, lorsqu’elle se révolta contre sa métropole. Épidaure les avait consacrées pour obtenir la fin d’une sécheresse qui désolait son territoire. L’oracle consulté avait répondu que, pour fléchir la colère des dieux, il fallait façonner deux statues de bois d’olivier. Par une raison qu’il n’est pas facile de démêler, Épidaure fut obligée de demander aux Athéniens le bois destiné à cet