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de misérables et de mendians, errant par toute la Grèce. Une pareille population ne pouvait relever la fortune d’Égine ; elle souilla par ses débauches et par ses pirateries la fin de la puissance dorienne, qui ne semblait avoir triomphé d’Athènes que pour couronner avec éclat son existence qui s’éteignait. Désormais Égine n’eut plus d’autre gloire que d’être le refuge des grands citoyens d’Athènes proscrits par l’inconstance du peuple et par les intrigues des Macédoniens, qui s’apprêtaient à absorber dans une dernière invasion tous les Grecs descendus comme eux de l’Olympe et du Pinde.

IV. — HISTOIRE DE L’ART ÉGINÉTIQUE.

Tous ces faits, déjà si intéressans pour l’histoire générale de la Grèce, vont nous servir à déterminer la signification des marbres d’Égine, et à définir l’originalité de l’art auquel ils appartiennent. Athènes, qui eut sur les autres villes helléniques l’avantage de posséder une littérature complète, et d’être, pour cette raison même, aux yeux du monde, leur représentant et leur interprète, n’a pas toujours été juste envers ses rivales, lorsqu’elle a tracé, par la main de ses écrivains, le tableau de la civilisation grecque. Pour citer un trait qui ait rapport à notre objet, elle a attribué l’invention des arts à Dédale, l’un de ses enfans. Ce personnage, à moitié mythologique, est devenu un grand sujet de doute pour l’érudition moderne ; et M. Mueller a émis l’opinion que le Dédale de Crète, celui qui construisit le fameux labyrinthe, pourrait bien être tout différent du Dédale athénien, qui dès-lors ne jouerait plus qu’un rôle très secondaire dans l’histoire de l’art. Smilis, fils d’Euclide, que Pausanias nomme comme le chef de l’école éginète et comme le contemporain de Dédale, a pris, au contraire, une plus grande importance depuis qu’on a pu reconnaître avec quelque certitude le caractère de ses successeurs. L’art grec, qu’on nous peint sans cesse astreint aux lois de la plus sévère unité, se produisit avec une liberté infinie. C’est ainsi que la seule statuaire prit dès l’origine, selon les lieux, les formes les plus diverses. C’est peut-être à Samos, colonie ionienne, que fut inventée la plastique, ou l’art de pétrir des images avec l’argile ; c’est aussi dans cette île que Théodore et Rœchus fondirent les premières statues de bronze ; c’est en Crète, à ce qu’il paraît, que l’art de sculpter le marbre commença à se développer ; Dippœne et Scyllis, qui fondèrent l’école de Sicyone, étaient des marbriers crétois. À Smilis et à l’école d’Égine qu’il institua, appartient l’hon-