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penchant natif à se détacher de leur tronc naturel, et à se revêtir des formes étrangères. Ceux qui avaient primitivement enlevé aux Pélasges la domination de l’Attique s’étaient si bien modelés sur leur esprit, sur leur religion et sur leurs usages, que les historiens, ne distinguant pas les uns des autres, appellent les vainqueurs du nom des vaincus. Frères des Doriens à leur origine, ils devinrent un objet de haine et de mépris pour ces rigoureux conservateurs de l’intégrité primordiale du génie grec. La persévérance des uns, l’indépendance et la curiosité des autres, se développèrent selon leurs lois naturelles ; les querelles antiques, les intérêts opposés, les circonstances, tout se réunit pour faire dégénérer cette dissemblance en une rivalité acharnée. Thèbes avant l’invasion des Perses, Lacédémone après leur défaite, soutinrent, contre Athènes, de longues guerres qui furent le résultat de la dualité profonde de la nation. Dans ces deux occasions, Égine se trouve toujours du parti opposé à celui des Athéniens ; mais avant d’embrasser des passions allumées hors de son sein, sentinelle avancée de l’esprit dorien, elle harcela la ville de Minerve au nom de la supériorité de sa marine, de son industrie et de ses instincts.

La guerre des Perses eut deux phases principales. Pendant la première, Darius n’avait donné à ses lieutenans d’autre commission que celle de châtier la démocratie turbulente des Ioniens. Le génie dorien, essentiellement aristocratique, faisait plus que des vœux pour le succès des ordres du grand roi ; à cette époque, l’oligarchie d’Égine, qui s’appuyait sur la double puissance des traditions et du négoce, et qui avait jusqu’alors réussi à contenir les cinq mille citoyens et les quarante mille esclaves habitués à son joug, conspira ouvertement avec les Perses. Les Athéniens cherchèrent à la vaincre en soulevant la démocratie ; mais l’aristocratie disputa par la férocité le terrain qu’on lui voulait enlever par l’intrigue. On cite, au milieu des massacres qu’elle ordonna, un trait unique dans l’histoire. Un malheureux plébéien s’étant attaché à la porte d’un temple, on scia ses poings pour ne rien faire perdre au droit d’asile, ni à la vengeance de la noblesse. Sparte, où l’antique élément achéen était resté debout à côté de Lacédémone, occupée par l’élément dorien, se prêtait alors à toutes les entreprises d’Athènes contre les Doriens purs de Thèbes, d’Argos et d’Égine, qui excitaient la méfiance universelle des autres Grecs. Aussi un roi spartiate vint-il punir les Éginètes d’avoir tendu les mains aux barbares. Plus tard, lorsque la seconde invasion médique eut encore élevé Athènes et abaissé les autres villes, jadis ses