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vous résisterez long-temps aux susceptibilités de celui-ci, aux trahisons de celui-là, aux attaques surtout de tant d’hommes dont vous aurez amorcé les espérances, et qui ne se tiendront jamais pour assez largement rémunérés de leurs services ? Croyez-vous que le secret des coalitions soit perdu, et que les semences du passé ne fructifient pas dans un sol aujourd’hui si profondément labouré ?

Il est une chance, une seule, pour fermer le gouffre où s’abîment tour à tour toutes les réputations, toutes les capacités du pays, c’est qu’un moment vienne où le pays soit amené à reprendre un intérêt direct et chaleureux pour les transactions politiques, dans la balance desquelles il a cessé de mettre un poids. Des complications extérieures où la grandeur et la fortune de la France, ses intérêts politiques ou matériels se trouveraient gravement engagés, l’arracheraient, j’en ai la confiance, à de stériles et insolubles querelles. L’instinct du pays ne le trompe pas à cet égard. Voyez, si vous en pouviez douter, avec quelle ardeur il s’est saisi de cette question d’Orient, qui touche ses intérêts moins directement que les vôtres, et qu’il a débattue néanmoins avec une chaleur que j’ai vainement cherchée dans vos discussions parlementaires.

Mais pour que des complications politiques déterminent à l’intérieur une crise favorable, la première condition, c’est qu’elles soient naturelles et non factices, qu’elles se produisent comme le fruit même des évènemens, et non comme l’œuvre calculée d’une politique remuante. Tout cabinet que l’opinion pourrait légitimement accuser de susciter des difficultés pour y puiser de la force, de devancer les circonstances au lieu de les attendre, porterait le poids d’une responsabilité terrible, et verrait pour jamais se retirer de lui cette puissance morale qu’il aurait espéré se concilier.

En traçant, monsieur, cette esquisse parlementaire, je n’ai pas cédé au vain et dangereux plaisir de chercher des torts et des faiblesses. Si je vous ai fait toucher nos plaies, c’est que je ne les estime pas incurables.

Je crois, et vous savez que cette foi est chez moi de vieille date, que l’ère qui s’ouvre à peine pour l’Europe verra s’élever des gouvernemens réguliers et permanens sur le principe bourgeois, comme d’autres temps en ont vu s’asseoir sur le principe aristocratique. Si l’idée bourgeoise est la dernière venue dans le monde, elle n’en sera peut-être pas pour cela la moins féconde, lorsqu’elle aura pleine conscience d’elle-même, et qu’elle aura trouvé les lois de son organisme. Le mouvement de 89 la fit éclore après une incubation de plu-