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se tenaient du moins compactes et serrés devant leurs adversaires. Quand j’affirme que cette ressource nous échappe aujourd’hui, quand je dis qu’il n’y a plus de partis dans la chambre, et que l’anarchie n’en sévit qu’avec plus de violence, cela peut, à bon droit, vous paraître étrange : rien de plus vrai pourtant, monsieur. À part deux groupes sans importance numérique et sans action, il est certain que, soit réserve, soit lassitude, soit empressement d’ambition, aucune idée claire et précise ne s’aventure sur la scène politique, et qu’on ne saurait guère y voir que des hommes occupant le pouvoir, luttant contre des hommes aspirant à les en chasser.

Dans un tel état, quoi d’étonnant si chacun se fait centre de tout et rapporte tant à soi ? Dès qu’on ne représente rien que sa propre personnalité pourquoi soignerait-on autre chose que son propre avenir ? Au nom de quel intérêt, par la puissance de quelle idée réclamerait-on de celui-ci un sacrifice d’amour-propre, de celui-là l’oubli d’un mauvais procédé, de tous l’union, la concorde, la soumission à une hiérarchie régulière ? Pendant que les partis s’isolent des hommes qui en avaient été les représentans, il s’établit entre toutes les idées une sorte d’égalité négative ; les croyances perdent leur énergie, mais l’égoïsme élève entre les hommes des barrières plus infranchissables encore que la passion, de telle sorte que la société, loin de profiter de ce que perdent les partis, se sent atteinte elle-même par leur affaiblissement.

Vous ne comprendriez certainement pas, en Angleterre, qu’un publiciste essayât de caractériser une crise politique, en passant sous silence jusqu’au nom de la chambre que vous appellerez long-temps encore la chambre haute ; mais vous connaissez assez la France pour que ce silence de ma part n’ait pas droit de vous étonner. Il est malheureusement incontestable que la pairie n’existe, depuis 1830, qu’à l’état de pouvoir judiciaire ; vous n’ignorez pas que, dans aucune des transactions politiques de ces dernières années, elle n’a été un point d’appui non plus qu’un obstacle pour personne. La première chambre n’a exercé une influence appréciable dans aucune de ces nombreuses combinaisons ministérielles remuées chaque année ; son vote est devenu de pure forme, à peu près comme la signature du second notaire, requise je ne sais pourquoi pour les actes authentiques.

D’où vient cette nullité dont les conséquences pourraient être si désastreuses ? La pairie française, ce dernier port ouvert aux débris de tant de naufrages, ce sénat où tant de régimes ont jeté leurs illustrations, le cède-t-il à une autre assemblée dans le monde en grandes