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DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

degrés, les substitutions et la primogéniture, l’autre maintenait, en s’appuyant sur les sympathies populaires, le vote direct, l’électorat à cent écus, l’égalité civile et politique, la liberté de la conscience et celle de la presse.

Vous avez vu la France de ce temps, vous avez connu plusieurs de ces hommes moins éloquens par eux-mêmes que par la grandeur des intérêts qu’ils avaient charge de défendre. L’orateur n’était pas alors un homme redoutable par cela seulement qu’il possédait une parole vive et facile, incisive ou pittoresque. Il fallait, en dehors de l’enceinte parlementaire, faire vibrer des passions à l’unisson de sa voix, éveiller des susceptibilités toujours inquiètes, ou parler à des intérêts constamment alarmés. L’homme politique dépendait de son propre parti, il en recevait toutes ses inspirations ; son talent était l’instrument et non le principe de sa puissance. De là ces positions si nettes, si simples, si parfaitement conséquentes avec elles-mêmes depuis M. de Bonald jusqu’à Benjamin Constant, positions toujours dominées par une idée, et que chacun aurait pu dessiner avant même qu’elles se produisissent.

En rappelant ces souvenirs, je fais, sans y songer, la contre-partie de tout ce qui se passe en ce moment. Dans la vie parlementaire, le talent n’est plus une force au service d’un intérêt général ; il est devenu le principal au lieu d’être l’accessoire, et la puissance de l’orateur se mesure à la dose qu’il en a plutôt qu’à l’usage qu’il en fait. Si les partis ne dépendent pas précisément de leurs chefs, ceux-ci dépendent moins encore de leur propre parti ; chacun va de son côté, s’appuyant sur ses amis personnels, faisant manœuvrer ses journaux au souffle de ses haines ou à la pente de ses propres intérêts. Les hommes de la conservation se séparent aujourd’hui de ceux du mouvement démocratique avec lesquels ils se confondront demain. De part et d’autre, on polit avec soin toutes les aspérités des choses, on efface à plaisir sa physionomie propre, on lutte d’empressement autant que de flexibilité pour saisir un pouvoir qui échappe aux uns et aux autres, sans se fixer solidement aux mains de personne. Ceci doit résulter, en effet, de l’état très différent des esprits et des choses à deux époques bien moins séparées par les dates que par les évènemens.

L’égoïsme de quelques prétentions n’expliquerait pas seul ce qui vous indigne comme un scandale, et ce qui me préoccupe surtout comme l’indice d’une ère différente. Vous attribuez aux faiblesses des hommes ce que j’attribue à l’insuffisance des institutions. Je ne pré-