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la liberté de conscience, à la dégager des liens de la conquête politique et de l’oppression religieuse, ont vu leurs progrès retardés par l’ascendant de ceux qui s’attachaient à maintenir inébranlable la suprématie de l’église et de l’état. Qu’est-ce, en ce moment, que le gouvernement de l’Angleterre, si ce n’est une lutte régulièrement organisée entre l’Irlande et la Grande-Bretagne pour la conquête du droit commun, entre la bourgeoisie qui s’élève et l’aristocratie qui s’affaisse ? Qu’est-ce que votre réforme parlementaire, vos concessions aux dissidens, votre bill des corporations municipales, vos projets actuels de gardes urbaines, et vos tendances vers l’administration centralisée, se combinant avec le maintien d’une église établie, d’universités privilégiées, du droit d’aînesse et des grands jurys, de la yeomanry et des juges de paix ? qu’est-ce que tout cela, si ce n’est la conciliation d’élémens hostiles par essence, qui consentent à se combattre avec ordre à Westminster pour éviter de descendre dans une arène plus redoutable ? De grands partis organisés et conduits par des chefs en qui s’incarnent les doctrines de chacun d’eux, des luttes soutenues avec la persévérance que donnent les intérêts politiques et la chaleur qui naît de l’opposition des croyances, telle est la condition indispensable, sinon d’un gouvernement libre, du moins d’un gouvernement représentatif comme il a été compris jusqu’à présent.

Ce système s’était d’abord développé en France au milieu de circonstances qui semblaient lui assurer un long avenir. Je ne parle pas de nos premières assemblées délibérantes, car l’élément révolutionnaire y dominait seul, et rien ne ressemblait moins à de la politique de transaction que celle qui se faisait durant l’ivresse de ces temps-là. Mais, lorsqu’en 1814 Louis XVIII eut jeté la Charte entre la vieille dynastie et la France nouvelle, la nation admise à la jouissance des droits politiques se trouva nécessairement partagée en deux grandes catégories, factions irréconciliables dont les intérêts restaient aussi distincts que la foi sociale et les espérances. Ce fut, il faut bien le reconnaître, le plus beau temps du gouvernement parlementaire. La Charte poussa des racines d’autant plus profondes qu’on la croyait plus menacée. Tous les partis, à commencer par celui de l’ancien régime, eurent leurs théoriciens, leurs publicistes, leurs orateurs. Celui de la révolution, derrière lequel se groupait la majorité nationale, déploya, dans la défense de ses conquêtes, une énergie et une unité devant lesquelles échouèrent toutes les combinaisons de l’école aristocratique. Pendant que celle-ci, à laquelle ne manquait ni la puissance du talent, ni celle de la logique, essayait l’élection à deux