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Aujourd’hui que lord Wellington vient de clore, en les reléguant dans l’histoire, les actes de sa longue vie militaire, tout cet état de choses se trouve bien changé. Personnellement, le duc de Wellington n’a rien perdu de sa haute situation. Cette longue période de paix que nous venons de parcourir, lui a donné, au contraire, un nouveau relief, et le général illustré par sa prudence et par des circonstances heureuses, encore plus que par ses talens militaires, a montré un grand caractère politique et un véritable talent d’homme d’état. Sorti des armées avec des idées absolues, redouté par les uns, désiré par les autres, comme un tory opiniâtre, le duc de Wellington n’entra en quelque sorte dans le ministère que pour montrer que sa raison est solide, mais qu’elle n’est pas inflexible, et on le vit concourir à l’établissement du royaume de Grèce, commencer la réforme et reconnaître sans difficulté pour roi des Français le prince qu’il exhortait vainement, quinze ans auparavant, à se rendre au quartier royal de Louis XVIII, à Gand. Mais tout en cédant ainsi, et sans doute à regret, aux nécessités de son pays et à l’esprit de son temps, lord Wellington restait le même et ne transigeait pas avec ses adversaires. C’est ainsi qu’il entama la réforme pour soustraire le roi à la domination des whigs, et chacune de ses mesures peut être expliquée par quelque vue de cette nature. Cependant, si son âge avancé lui permettait de porter encore le poids des affaires, whigs et tories lui en conféreraient aujourd’hui la direction.

À son avénement au trône, le duc de Clarence, qui avait renoncé à ses fonctions de grand amiral, par suite de ses mésintelligences avec lord Wellington, chef des forces de terre, obéit à ces souvenirs ; mais bientôt il revint au duc de Wellington et lui donna toute sa confiance. La reine Victoria, bien jeune encore, a montré qu’elle comprend aussi toute l’importance du vieux guerrier, et son aversion notoire pour les tories ne l’a pas empêchée de recourir souvent aux avis de lord Wellington, et d’invoquer le secours de son influence. Ces avis et cette influence, qui ont tant fait autrefois pour l’Angleterre dans les camps, la sauveront peut-être de grands périls.

Sous le rapport de sa puissance morale, le gouvernement anglais a beaucoup perdu de la brillante situation qu’il s’était faite au moment de la chute de Napoléon. La sourde lutte de l’empire britannique avec la Russie ne l’a pas mieux servi que son alliance avec la France. D’un côté, le gouvernement anglais a manqué d’habileté dans sa politique en Orient ; de l’autre, il a montré tant d’exigences, que chaque peuple se demandera désormais si ce n’est pas à un trop haut prix qu’on achète l’alliance anglaise. Dans l’intérieur de l’An-