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s’est abstenu en même temps des actions éclatantes et héroïques ; mais le but de lord Wellington était marqué. Il devait concourir à l’accomplissement d’une grande œuvre, commencée en commun par l’Europe entière. Sa tâche a été remplie avec toute l’habileté et la loyauté possibles. L’Angleterre a voulu mettre le duc de Wellington en regard de Napoléon. Il est évident que Wellington n’a jamais songé à se considérer comme l’antagoniste de Napoléon, et on dirait même que c’est pour se montrer sous son véritable jour qu’il a publié sa volumineuse correspondance. Cette publication, qui est faite pour flatter le juste orgueil du duc de Wellington, est en même temps un acte de modestie. À chaque page, on y voit l’honnête homme, le général prudent, l’observateur[1], l’esprit intelligent qui embrasse les diverses faces des affaires, et juge sainement de leurs résultats ; on y reconnaît même l’homme d’état, le ministre qui devait fournir plus tard une belle et honorable carrière politique ; mais on y chercherait vainement le héros. Enfin, l’épigraphe choisie pour cette collection de dépêches se trouve bien justifiée ; elle dit que ce monument sera plus durable que l’airain, œre perennius. Il survivra, en effet, sans nul doute, dans l’esprit des hommes sensés, au bronze qu’on élève, sur une place de Londres, à lord Wellington, et qui le représente sous les lauriers et dans la nudité d’un demi-dieu des temps héroïques. Ce n’est pas ainsi nu que Chantrey ou Wyatt devaient montrer au peuple anglais et à la postérité le général qui a écrit ces lettres,

  1. L’esprit d’examen et d’observation du duc de Wellington, particulièrement en ce qui concerne l’armée, se reproduit dans tous ses discours et dans tous ses actes. Aujourd’hui même, en lisant les dernières discussions du parlement anglais, je retrouve cet esprit dans la réponse que lord Wellington vient de faire aux partisans du système de la taxe uniforme des lettres. Lord Wellington prétend que la réduction du prix du port à un penny n’augmentera pas la correspondance et le nombre des lettres, comme l’assurent les économistes de la chambre basse, et il cite, à ce sujet, ce qui s’est passé dans quelques régimens. — « Il y a peu d’années, je voulus essayer de ce système, dit-il, et je puis assurer à leurs seigneuries qu’après avoir affranchi de toute taxe les lettres des soldats de quelques régimens, il n’en est pas résulté la moindre augmentation de correspondance. Dans un seul régiment, et c’était un régiment de mille hommes, composé de montagnards écossais, qui passent pour des gens extrêmement attachés à leur lieu natal et à leurs familles, on s’est assuré que, pendant l’espace de six à sept mois, soixante-trois ou soixante-quatre lettres seulement ont été écrites. C’était le même nombre qu’auparavant. » — Le noble lord en conclut que la diminution de la taxe sera onéreuse pour le pays. Peut-être eût-il fallu considérer que les soldats n’ont que peu de nouvelles à communiquer à leurs familles, et que leurs besoins ne changent pas, tandis que le commerce tend sans cesse à augmenter ses relations dès qu’on les favorise ; mais il eût fallu sortir du cercle des observations militaires, et lord Wellington s’y tient volontiers.