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manquerait pas de voir là un premier pas vers l’envahissement de tout le beylick. On conviendra qu’il est bien pénible pour la France de voir sa modération, vraiment inouie, payée par les calomnies et les imputations continuelles des journaux anglais ; mais il ne faut pas se lasser de démontrer la fausseté de leurs accusations, et, pour notre part, nous ne manquerons jamais à ce devoir.

L’ordonnance de dégrèvement des sucres a jeté une grande perturbation dans nos départemens du nord. On y accuse le gouvernement d’avoir pris une mesure illégale, et on se dispose à faire juger de la légalité de l’ordonnance par les tribunaux. L’ordonnance de dégrèvement est légale ; pour nous, nous n’en doutons pas, et si le ministère a eu un tort, c’est de ne l’avoir pas rendue plus tôt. Par ses tergiversations, le ministère a diminué, d’un côté, le bon effet de la mesure, et, de l’autre, il a encore aggravé le mécontentement et donné des armes contre lui. Après avoir nié la légalité d’un dégrèvement des sucres par ordonnance, dans l’exposé des motifs de la loi qu’il a présentée à la chambre, le ministère en est venu à cette mesure. C’est à la chambre seulement qu’il aura à expliquer ce changement dans ses opinions, mais nous croyons que la chambre ne se verra pas avec déplaisir dispensée de l’initiative d’une mesure qu’elle n’osait pas prendre sur elle, disons-le franchement. Toutefois, la lutte qui vient de s’élever entre quelques départemens agricoles et les colonies, doit avoir un résultat plus important que quelques récriminations dans la chambre, et, en présence d’intérêts si contraires, le gouvernement doit se tenir prêt à présenter une loi d’ensemble sur le commerce de nos colonies. Dans les années favorables, quatre cents navires sont employés au transport des produits de nos colonies des Antilles ; le dégrèvement actuel, en laissant les sucres au prix où ils sont pour le consommateur, n’augmenterait pas la consommation de ce produit en France. Les rapports resteront toujours les mêmes entre la France et ses colonies, et la mesure, si elle est confirmée par la chambre, les ravivera seulement. Or, l’extension qu’il est indispensable de donner à notre marine appelle d’autres mesures, et ce n’est qu’en dégrevant encore les sucres, qu’on augmentera la consommation au point où elle est en Angleterre, qui perçoit plus de cent millions sur l’importation des sucres et qui emploie à leur transport trois fois plus de bâtimens que nous. Sans doute, un tel système devra se lier à des mesures favorables à l’agriculture, qui indemniseraient les départemens où se cultive la betterave ; mais il ne faut pas oublier que l’Angleterre est aussi un pays agricole, où les grands propriétaires ont une voix puissante dans le parlement ; et cependant la culture de la betterave n’a jamais été favorisée, en Angleterre, au point de balancer l’intérêt du commerce maritime. N’oublions pas aussi que les différens genres de culture peuvent varier et se remplacer en peu d’années, tandis qu’un port désert est une brèche faite à la sûreté et à la grandeur d’un pays.

Un passage du discours de la reine d’Angleterre occupe aujourd’hui l’attention publique ; c’est celui où il est question de la satisfaction qu’éprouve la reine d’avoir pu concourir au rétablissement de la paix entre la France et le