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pour l’accompagner de quelques avis et pour en adoucir la forme. En elle-même, la demande n’a rien d’exorbitant ; et la France ne pouvait approuver, par un refus de se joindre aux puissances, l’acte de trahison commis par le capitan-pacha. Il valait mieux expédier un aide-de-camp français à Alexandrie, que de laisser partir, avec cette commission, les bâtimens de l’escadre de l’amiral Stopford. De là à brûler la flotte égyptienne, il y a encore loin, et la France, qui a refusé les propositions de ce genre que lui faisait l’Angleterre, ne se prêterait pas sans doute à un semblable dessein. Enfin, la preuve que le vice-roi d’Égypte est protégé par quelqu’un, c’est qu’il refuse de rendre la flotte turque, c’est qu’il l’enferme dans son port, pour ne pas l’exposer au sort qu’eut jadis un peu plus loin la flotte de l’amiral Brueys. Et ce protecteur qui donne ainsi confiance au pacha, quel serait-il, si ce n’était la France ? Ce n’est donc pas sur quelques tournées d’aides-de-camp de plus ou moins qu’on doit juger de la politique du gouvernement en Orient.

Maintenant, que fera le vice-roi d’Égypte ? Cet esprit éminent n’ira pas plus loin que ne le comporte la situation, on peut le croire. Méhémet-Ali a fait arrêter l’armée victorieuse d’Ibrahim-Pacha sur un simple avis du gouvernement français ; il ne se laissera pas entraîner dans une voie dangereuse par de funestes conseils, et ces conseils, personne ne les lui donnerait. Est-ce la Russie qui engagerait Méhémet-Ali à s’avancer, par les provinces d’Asie, vers Constantinople, seule route qui lui soit ouverte aujourd’hui, ou à refuser la flotte turque ? Mais la Russie, en lui supposant tous les projets d’ambition qu’on lui prête, est trop habile pour acheter Constantinople, et l’acheter dix ans trop tôt, par une guerre avec toute l’Europe. La diplomatie européenne tout entière reculerait devant la pensée d’arracher à Méhémet-Ali ce que lui a donné la victoire, et elle ne lui redemanderait pas même la flotte turque s’il l’avait conquise ; mais elle peut donner au pacha une situation nette, incontestée, garantie par les cinq puissances, et cet avantage est assez grand pour être acquis par le sacrifice de quelques droits que le pacha n’a pas encore, comme, par exemple, l’hérédité de la Syrie.

Le discours de la reine d’Angleterre était attendu avec quelque curiosité. Quelques paroles récentes de lord Melbourne, certaines déclarations de lord Palmerston, dans le parlement, pouvaient faire prévoir qu’une certaine froideur serait observée à l’égard de la France. Le cabinet anglais a parlé dans ce discours de la bonne intelligence qui règne entre la France et l’Angleterre, et ces paroles n’étaient pas de trop après les explications du premier lord de la trésorerie, au sujet de l’affaire de Portendic. Le discours ministériel parle aussi du bon accord des cinq puissances, qui se manifestera dans les affaires d’Orient. Ce discours ne touche que légèrement à toutes les grandes questions, comme il est d’usage en Angleterre ; on a seulement remarqué la phrase où il est dit que les cinq puissances ont résolu de maintenir l’indépendance et l’intégralité de l’empire ottoman, et on a voulu y voir une menace contre le pacha d’Égypte. Il est impossible que cette phrase ait cette portée, car si l’Angleterre voulait simplement tenir Méhémet-Ali dans l’état de vasselage