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terre, vous causent la plus désagréable des distractions. On a beau prendre sur soi et s’armer de patience, l’acharnement de ces misérables est tel, que bon gré mal gré il faut lever la canne pour les tenir à distance. Leurs bandes ne cessent de vous escorter et de vous assourdir, que lorsqu’ils sont convaincus par expérience que vous êtes décidés à leur distribuer en coups de canne le qualche cosa qu’ils vous demandent insolemment. Au premier geste menaçant, tous fuient, et aussitôt, comme par prodige, on retrouve la solitude et la liberté.

Délivré enfin, je courus au premier temple, et je fus étonné de la petitesse de ses proportions. Deux cents personnes ne tiendraient pas dans son enceinte, et ses colonnes courtes et ramassées sont si rapprochées, que trois personnes ne pourraient passer de front dans l’entrecolonnement. Ce premier temple était consacré à Cérès. L’ensemble en est élégant, quoiqu’un peu lourd. C’est de la force et de la solidité sans grandeur, et c’est en cela surtout que les édifices de Pœstum diffèrent des monumens romains qui réunissent à la fois force, grandeur et solidité.

Le temple de Neptune, le plus vaste de ces édifices, s’élève au milieu des broussailles, à deux portées de fusil du temple de Cérès ; tous les deux semblent placés de front. On a comparé le temple de Neptune à celui de Thésée, à Athènes, avec lequel il offre sans doute de nombreux points de ressemblance ; mais il n’a pas de cella comme ce temple ; un second rang de colonnes remplace cette muraille intérieure. Les chapiteaux des colonnes du temple de Pœstum sont aussi moins ornés que les chapiteaux grecs, et ses dimensions moins précises et moins élégantes ; ses colonnes diffèrent de diamètre, décroissent trop rapidement de la base au sommet, et les espaces qui les séparent sont inégaux, comme j’ai pu m’en assurer en les mesurant. Ces temples, que l’on fait remonter à plus de 800 ans avant l’ère chrétienne, et dont on attribue la construction à une colonie dorienne, ne sont en réalité que de curieux monumens de l’art dans son enfance, et il faut être bien enthousiaste pour y découvrir de grandes beautés. Ces lourdes et inégales colonnes, aux canelures profondes, aux chapiteaux ressemblant plutôt à des meules de moulin qu’à l’élégant chapiteau dorique (ils ne se composent en effet que du tailloir, de l’ove et de l’astragale, sans filets, sans gorge, ni listel), soutenant une frise nue et une architrave dont les triglyphes sont grossièrement sculptés, et dont le fût, sans plinthe, sans base et même sans escape, porte crûment sur le pavé du temple, espèce de socle commun à toute la colonnade, ces colonnes, dis-je, ne sont guère que les commencemens de l’art dorique. Il y a donc aussi loin de ces temples de Pœstum aux temples de Thésée et au Parthénon, ces ouvrages du dorique le plus achevé, que de ces édifices au temple de Jupiter Olympien, le chef d’œuvre de l’architecture grecque. Ce n’est donc pas à ces monumens les plus remarquables de l’art grec qu’il faut les comparer, mais plutôt au temple de la Concorde à Agrigente ou au Sisypheum de Corinthe. Ce dernier édifice était déjà tellement ruiné du temps de Strabon, que ce père de l’archéologie ne peut décider si les colonnes, restées debout, appartenaient à un temple ou à un pa-