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Les chroniqueurs du temps nous ont conservé quelques détails curieux sur le siége de Salerne, en 1075. La ville était serrée de si près depuis quatre mois et le port si étroitement bloqué, que les vivres ne tardèrent pas à manquer. Bientôt les assiégés furent obligés de se nourrir de la chair des ânes, des chevaux, des chiens et des rats[1]. Un foie de chien se paya jusqu’à dix tari ; un œuf de poule huit tari ; une mesure (modio) de grain quarante-quatre bizanzi[2]. La famine devint si horrible, que les Salernitains poussés à bout indiquèrent au duc Robert Guiscard les côtés faibles de la place, et introduisirent de nuit ses soldats dans la ville. Gisulfe, fait prisonnier, implora la clémence du vainqueur, qui lui fit grace de la vie et même le laissa libre. Un ennemi ainsi épargné n’était plus redoutable. Gisulfe se réfugia d’abord au Mont-Cassin, et puis dans la campagne de Rome, où il se mit sous la protection de Grégoire VII, qui ne lui fut pas d’un grand secours, lui-même n’ayant point tardé à devenir le protégé de Robert Guiscard[3].

Gisulfe périssait victime d’une faute commise par ses prédécesseurs un siècle auparavant.

Dans l’année 1002 selon quelques chroniqueurs, 1005 selon d’autres, des Amalfitains, qui étaient allés faire du commerce sur les côtes de Syrie, ramenèrent dans leurs vaisseaux quarante chevaliers normands, qui venaient d’achever le pèlerinage de la Terre-Sainte. Les Amalfitains, précurseurs des Génois et des Pisans, couvraient alors la Méditerranée de leurs flottes, et leurs relations s’étendaient même jusqu’à Babylone. Ils débarquèrent à Salerne ces pèlerins, que le duc Gaimard III accueillit avec courtoisie, leur offrant des vivres frais, l’hospitalité, et leur faisant de son mieux les honneurs de la cité.

Il arriva, sur ces entrefaites, qu’une flotte de Sarrasins vint mouiller devant Salerne, et débarqua une petite armée sur la plage couverte d’herbe, qui s’étend, entre la ville et la mer. Là, ces aventuriers se mirent à parader à la vue des habitans effrayés, menaçant de saccager leur ville comme ils avaient saccagé Pœstum quarante ans auparavant, si l’on ne leur payait sur-le-champ un tribut considérable. Les Salernitains effrayés, loin de songer à se défendre, se mirent en devoir d’obéir aux sommations des Arabes, et commencèrent leur collecte de maisons en maisons. Les Normands, cependant, avaient vu avec indignation les évolutions menaçantes des Sarrasins ; braves comme tous leurs compatriotes, ils jurèrent de donner une leçon à ces mécréans qui s’attaquaient à leurs hôtes. Ils demandent à Gaimard des armes et des chevaux, se font ouvrir les portes de la ville, et se précipitent sur les Sarrasins, qui, dans la sécurité la plus complète, se livraient à des divertissemens sur la plage. Saisis d’épouvante, ces pillards fuient en désordre vers leurs vaisseaux, laissant

  1. Gugliemo Pugliese, lib. III, Rer. normann.
  2. Bizanzi ou bizanti était le nom générique de la monnaie d’or des empereurs grecs. Plus tard, ces princes mirent en circulation des bizanzi d’argent correspondant à l’écu romain de la valeur de 10 jules. Voir Muratori dissert., 28.
  3. Peregrin., In notis ad chronic. Cassin., not. 19.