Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/701

Cette page a été validée par deux contributeurs.
697
SALERNE ET PŒSTUM.

et que de médecin il était devenu sage-femme. Il a ajouté que, recherché plusieurs fois en mariage, il avait repoussé les meilleurs partis, qu’enfin il était mort fort jeune. Les médecins napolitains avec qui j’ai causé de cette histoire prétendent que le docteur de la Cava n’était ni homme ni femme, mais réunissait les deux sexes.

En se rendant de la Cava à Vietri, on traverse le ravin sur plusieurs ponts, qu’à leur grandeur et à leur solidité on pourrait regarder comme autant d’ouvrages des Romains. La route est suspendue au-dessus de précipices au fond desquels, en approchant de Vietri, on aperçoit un aqueduc en pierres grises, qui doit avoir été construit du temps des Sarrasins et des Normands. En effet, l’ensemble du monument a une légèreté que ne présentent pas les ouvrages romains, plus massivement assis. L’appareil en est fort grossier. Les pierres ne sont ni polies ni taillées ; on s’est contenté de les dégrossir sur l’une de leurs faces, et l’on a rempli les inégalités avec du plâtre et des cailloux rapportés. Ajoutons à cela que l’arc de quelques-unes de ces voûtes superposées est ogival. Cette construction peu régulière ne manque cependant pas d’un certain caractère d’audace qui rappelle les monumens du Nord, et son effet dans le paysage est des plus frappans. Cet aqueduc sert encore aujourd’hui à la conduite des eaux d’un bord à l’autre de la vallée, et de pont aux montagnards, qui ne craignent pas de s’aventurer sur sa périlleuse arête.

À plus d’un mille de distance de Vietri, l’air est rempli du parfum des citronniers et des orangers qui croissent dans les jardins de cette bourgade pittoresque, et qu’apporte la brise de mer. Ces jardins sont de toute beauté. C’est la végétation des pays méridionaux dans son plus grand luxe ; les orangers, les cédrats et les grenadiers plient sous le poids des fruits dont ils sont couverts. Malheureusement un dragon veille à la porte de chacun de ces jardins des Hespérides ; ce dragon, c’est l’affreuse misère. Impossible de s’arrêter un instant aux environs de la ville sans être assailli par une bande de gueux en haillons, et sans être assourdi par l’éternel cri de la mendicité italienne : Date me qualche cosa ! Il faut battre en retraite devant ces mendians effrontés, et se contenter d’admirer en courant.

Vietri, construit en amphithéâtre sur des roches, et formant en quelque sorte plusieurs bourgades étagées les unes sur les autres, peut le disputer en pittoresque à la Cava. C’est un genre plus sauvage et moins gai, un tableau de Salvator après un paysage du Gaspre. Ses différens corps d’habitations, répandus sur les deux côtés du ravin ou cachés dans ses profondeurs, sont dominés par des montagnes calcaires des plus belles formes. La plupart de leurs cimes sont aiguës, et peut-être ces immenses pyramides sont-elles un peu uniformément couvertes de verdure, mais elles doivent à cette verdure leur richesse de contour et leur modelé vraiment merveilleux. Vues à certaines heures, et dans certains effets de lumière, on dirait de hauts obélisques sur lesquels on aurait jeté une splendide tenture de velours vert ou violet, ornée de broderies pourpres à franges d’or. Ces montagnes sont assises sur de larges bancs de roches blanches ou jaunâtres, de formation calcaire, dont le pied