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DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE.

sur la librairie ; pour sa bonne part, elle a contribué à la tuer. Comment ? L’annonce constitue, après l’impression, un redoublement de frais qu’il faut prélever sur la première vente, avant d’atteindre aucun profit ; mille francs d’annonces pour un ouvrage nouveau ; aussi, à partir de là, les libraires ont-ils impitoyablement exigé des auteurs deux volumes au lieu d’un, et des volumes in-8o au lieu d’un format moindre ; car cela ne coûte pas plus à annoncer, et, les frais d’annonce restant les mêmes, la vente du moins est double et répare. De cascades en cascades, je n’aurais pas de si tôt fini sur l’annonce, qui demanderait toute une histoire : Swift, d’une encre amère, l’aurait tracée.

La situation des journaux a notablement empiré depuis l’introduction de la presse dite à quarante francs : je ne m’attache à juger que du contre-coup moral. Le personnage trop célèbre et d’une capacité aussi incontestable que malheureusement dirigée, qui a eu cette idée hardie, prétendait tuer ce qu’on appelait le monopole de quelques grands journaux ; mais il n’a fait que mettre tout le monde et lui-même dans des conditions plus ou moins illusoires, et où il devient de plus en plus difficile, à ne parler même que de la littérature, de se tirer d’affaire avec vérité, avec franchise. Les journaux, par cette baisse de prix, par cet élargissement de format, sont devenus de plus en plus tributaires de l’annonce : elle a perdu son reste de pudeur, si elle en avait. Maintenant, quand on lit dans un grand journal l’éloge d’un livre, et quand le nom du critique n’offre pas une garantie absolue, on n’est jamais très sûr que le libraire ou même l’auteur (si par grand hasard l’auteur est riche) n’y trempent pas un peu. Il est très fâcheux qu’à l’origine de cette espèce d’invasion de la presse dite à quarante francs, les conséquences morales et littéraires n’en aient pas été présentées avec vigueur et netteté par quelqu’une des plumes alors en crédit. Une voix pourtant, celle de Carrel, avait commencé à s’élever, quand elle s’est tue. Les autres journaux étaient trop intéressés sans doute dans la question, et le Vous êtes orfèvre, eût diminué l’autorité de leur résistance. Malgré cette défaveur de position, certains faits auraient pu ressortir avec évidence et certitude. Je crois, par exemple, que ç’a été une faute au Journal des Débats, resté après tout à la tête de la littérature quotidienne, d’obéir en cette crise à son système de prudence, et de ne pas protester tout haut. Mais comment alors, dans le gouvernement, des hommes d’état sérieux et vertueux ont-ils pu prêter appui à la légère, et dans des vues toutes momentanées, à des opérations qui n’ont jamais