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des esprits sérieux et qui honorent l’époque, renfermés dans leurs vocations spéciales, gardent le silence sur des excès qu’ils ne sauraient comment qualifier. Cependant de grands et hauts talens, obsédés ou aveuglés, cèdent au torrent et y poussent, imitent et encouragent les déportemens dont ils croient pouvoir toujours se tirer eux-mêmes sans déshonneur. Quelques plumes sages protestent çà et là, à la sourdine ; mais la digue n’est nulle part. La connivence éteint tout cri d’alarme. On en est réduit (le croirait-on ?) sur certaines questions courantes et vives, à n’avoir plus pour sentinelle hardie que l’esprit et le caprice de M. Janin, qui dit ce matin-là avec un bon sens sonore ce que chacun pense. Jamais on n’a mieux senti, au sein de la littérature usuelle et de la critique active, le manque de tant d’écrivains spirituels, instruits, consciencieux, qui avaient pris un si beau rôle dans les dernières années de la restauration, et qui, au moment de la révolution de juillet, en passant brusquement à la politique, ont fait véritablement défection à la littérature. Quelque hauts services que puissent penser avoir rendus à leur cause les anciens écrivains du Globe devenus députés, conseillers d’état et ministres, je suis persuadé qu’en y réfléchissant, quelques-uns au moins d’entre eux se représentent dans un regret tacite les autres services croissans qu’ils auraient pu rendre, avec non moins d’éclat, à une cause qui est celle de la société aussi : il leur suffisait d’oser durer sous leur première forme, de maintenir leur tribune philosophique et littéraire, en continuant, par quelques-unes de leurs plumes, d’y pratiquer leur mission de critique élevée et vigilante ; aux temps de calme, l’autorité se serait retrouvée. Leur brusque retraite a fait lacune, et, par cet entier déplacement de forces, il y a eu, on peut l’affirmer, solution de continuité en littérature plus qu’en politique entre le régime d’après juillet et le régime d’auparavant. Les talens nouveaux et les jeunes espoirs n’ont plus trouvé de groupe déjà formé et expérimenté auquel ils se pussent rallier ; chacun a cherché fortune et a frayé sa voie au hasard ; plusieurs ont dérivé vers des systèmes tout-à-fait excentriques, les seuls pourtant qui offrissent quelque corps tant soit peu imposant de doctrine. Beaucoup, en restant dans le milieu commun, exposés à cette atmosphère cholérique et embrasée, sur ce sol peu sûr, en proie à toutes les causes d’excitation et de corruption, ont été plus ou moins gâtés, et n’ont plus su ce que c’était que de l’être. De là, une littérature à physionomie jusqu’à présent inouie dans son ensemble, active, effervescente, ambitieuse, osant tout, menant les passions les plus raffinées de la civili-